mardi 8 janvier 2013

LES FRITES MUSICALES D'EL JICE : L'histoire de Rael

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THE LAMB LIES DOWN ON BROADWAY
Interprétation et traduction : El Jice.

Il s’agit probablement du plus grand concept album réalisé depuis toute l’histoire du rock et certainement du rock progressif.  Il est l’aboutissement de la carrière du grand groupe sous l’inspiration magique de l’Archange.  A la fois surréaliste et social, il rejoint un peu la trame onirique d’un Alice au Pays des Merveilles de Lewis Carroll.  Sexe, magie et absurde, tout y est.  Le dénouement lui-même rejoint l’hallucinante histoire du Prisonnier de Patrick Mac Goohan, retranscrit en roman par Thomas Disch.  Voici l’histoire de Raël, héros intemporel.

Raël est donc le nom du héros de cette aventure étrange mise en scène par Genesis et, surtout, Peter Gabriel en 1974.  A l’instar d’une certaine tranche de zonards de la fin du 20e siècle, le héros incarné sur scène par le chanteur de Genesis passe son temps à étaler proses succinctes et images de goût douteux sur les murs des tunnels du métro new-yorkais.  Il est Portoricain.  Son look ? Typique du voyou des villes, veste de cuir, blue-jeans, baskets.  L’uniforme parfait dont se régale la matraque du flic qui ne vaut souvent pas mieux que le vandale.

Au moment où commence l’histoire, Raël sort des bouches du métro New-Yorkais, le pistolet à peinture dans la main, fier de son travail de badigeonneur.  Devant lui s’étale la ville qui gronde d’une éternelle vie nocturne.  Mais quelque chose d’étrange est en train de se passer.  Une sorte d’entité solide et éthérale à la fois descend sur la ville et fonce sur notre héros (Fly on the Windshield).  Cette entité ressemble à un mur où sont projetées les mémoires du passé.  Raël y voit Fred Astaire, des héros de papier, des majorettes et Caryl Chessman lui-même (Broadway Melody of 1974).  Ce masque sent la mort et tombe lentement sur Time Square. Raël se trouve soudain paralysé, il assiste impuissant à la progression rapide de ce mur vers lui et la chose finit par le percuter de plein fouet, le dématérialisant au Réel.

Le voici dans une sorte de caverne, flottant et emprisonné dans un cocon duveteux, se demandant ce qui a bien pu lui arriver si soudainement (Cuckoo Cocoon).  La caverne est gigantesque et majestueuse.  Les stalactites et stalagmites se rejoignent en autant de colonnes naturelles.  Au loin, il perçoit comme le battement régulier d’un cœur.  Alors qu’il inspecte les lieux, il lui semble que les concrétions se rapprochent, se referment sur lui, comme une cage dans laquelle il se retrouve bientôt prisonnier (In the Cage).  Au dehors il voit une forme humaine qu’il reconnaît pour être son frère John.  Il l’appelle à l’aide mais rien n’y fait, John le regarde impassible tandis que les barreaux naturels formés par les concrétions se referment sur lui.  « Get me out of this cage ! », crie-t-il, sans succès.  Il passe dans un nouveau plan tandis que, le regard fixe, son frère laisse échapper une larme de sang.

L’endroit est rempli de gens qu’il reconnaît (The Grand Parade of Lifeless Packaging).  Des potes de virée, des petits voyous comme lui.  Mais ils sont immobiles, figés dans une sorte de catatonie qui ressemble à la mort.  Il a beau leur parler, rien n’y fait.  Chaque personnage est numéroté et au numéro 9 il reconnaît une fois de plus son frère qui ne répond pas plus qu’auparavant à ses appels.  Il comprend qu’il est en face d’une caricature de la vie de tous les jours, d’un futur sans espoir où tout est réglé d’avance, où tout est immuable dans l’ineptie.  Alors, il fuit sans se retourner bien que quelque chose l’invite à se joindre à eux.  Il court droit devant lui et franchit une porte qui donne sur New York.

Plutôt heureux de se retrouver dans un univers connu (Back in N.Y.C.), Raël pourtant va au devant de nouvelles expériences frustrantes.  Ses pulsions de petite frappe reprennent le dessus et, à l’instar d’Alex dans Orange Mécanique, il ne rêve que de sexe et de viol (Hairless Heart-Counting out Time).  Mal lui en prend, car la fille qu’il comptait prendre pour proie l’a pris elle-même pour cible de ses propres instincts pervers.  Raël s’est procuré un bouquin qui va lui dévoiler tous les secrets de la femme.  Il va savoir où se trouvent les magiques zones érogènes et pouvoir en user et abuser.  C’est du moins ce qu’il croyait car il se révèle impuissant à assouvir ses instincts.  Furieux il va rendre le livre à celui qui lui a vendu.  Mais tout cela ne se passe-t-il pas dans sa tête ? L’univers suivant a tellement l’air plus étrange et quiet à la fois.

Il y a là un tas de gens qui semblent ramper sur un épais tapis de laine (Carpet Crawl).  Comme dans les rêves où, capturé par une toile invisible, on tente d’échapper à un cauchemar, ces gens se dirigent vers une porte où l’on peut fuir ce triste destin.  Il faut entrer pour en sortir.  Tel en est le paradoxe.  Mais qu’est-ce donc qui les retient ? Que l’on soit Superman ou simple mortel, aucune puissance ne donne l’avantage à ces reptiles de carpettes qui invariablement se dirigent vers cette lourde porte de bois.

Comme eux, Raël parvient finalement à la franchir et il gravit un escalier en colimaçon qui se perd dans les ténèbres.  Il ne peut en apercevoir le sommet.  Au bout d’un temps indéfini, il parvient malgré tout à l’atteindre et se trouve mêlé à une multitude de gens complètement perdus qui courent en tous sens et parlent tous en même temps dans une cacophonie indescriptible.  Chacun y va de son avis sans savoir de quoi il parle (The Chamber of 32 Doors).  Il y a là 32 portes dont une seule peut donner accès à la liberté.  Raël, comme tout autre, entend les voix de ses parents, depuis longtemps partis, de l’homme sage, de l’homme riche, du citadin et du paysan.  Chacun lui indique une porte comme étant la bonne.  Il en devient dingue.  Il ne sait qui croire.  Il a besoin de quelqu’un, désespérément, en qui faire confiance.  Car chaque issue semble le ramener au point de départ.  Et en fin de compte, il lui faut en choisir une.  Derrière celle-ci l’attend une étrange dame, aveugle, qui lui dit de le suivre.  Elle est aveugle comme le Destin et ressemble… à la Mort (Lilywhite Lilith).

Dans la salle d’attente, deux globes d’or flottent, mystérieux (The Waiting Room).  Une forte lumière, aveuglante, terrifie Raël qui espère quelque miracle.  Vers lui s’est dirigé l’anesthésiste surnaturel (Anyway – Here comes the Supernatural Anaesthetist).  Est-ce la mort, sa mort, il n’en sait encore rien mais une nouvelle féerie se présente à lui sous forme d’une magnifique salle de marbre rose.  Au centre de celle-ci une sorte de piscine aux reflets oniriques.  De grands candélabres, de part et d’autre du couloir qui l’y mène, éclairent son chemin tandis qu’il respire des parfums capiteux et aphrodisiaques.  La couleur de l’eau est rose tendre et l’appelle.  Raël, se sentant seul, y pénètre en toute confiance.  Le liquide le régénère de forces nouvelles qu’il croyait avoir perdues.  Et c’est alors que d’étranges créatures l’entourent, des femmes magnifiques et amoureuses dont cependant la particularité physique singulière l’interpelle.  Leur corps humain à la plastique irréprochable se termine en effet par celui du serpent (The Lamia).  Les Lamies, car il s’agit bien de cela, prodiguent alors de multiples et voluptueuses caresses à notre héros et celui-ci vaincu se laisse aller à leurs emportements.  L’une après l’autre, alors enivrée par les sens et la passion, le mord et goûte son sang.  Mal en prend à nos créatures fabuleuses car sonne à cet instant l’heure de leur trépas.  Dans un dernier souffle, elles susurrent qu’elles l’ont toutes aimé.  En quelques instants il ne flotte plus à la surface de l’eau devenue bleue comme la glace les cadavres de trois Lamies que toute vie a quitté.  Sans pouvoir y résister, Raël se rue sur elles et en dévore les cadavres.

Un nouveau flottement spatio-temporel (Silent Sorrow in Empty Boats), sorte de limbes surréels, transporte notre héros dans un autre plan.  Il découvre avec horreur que son corps s’est transformé en chose informe et grotesque gratifiée d’un sexe énorme.  Un corps purulent, plein de verrues, surmonté d’une tête monstrueuse et énorme pourvue de gros yeux globuleux (The Colony of Slippermen).  Il ne peut croire à pareil sort et se trouve bientôt entouré d’une multitude d’êtres qui lui ressemblent en tout point.  Ceux-ci lui expliquent qu’ils ont également été victimes des Lamies, de leurs caresses et du sort peu enviable qu’elles leur ont jeté.  Désespéré, Raël ne peut croire la chose irréversible.  Il leur demande s’il n’y a aucun moyen de conjurer le maléfice et on lui conseille de consulter le Docteur.  Peut-être a-t-il la solution mais quel en sera le prix ?

Raël ne peut se résoudre à rester dans cette apparence grotesque et c’est donc sans hésitation qu’il consulte l’homme de science qui directement et sans tergiverser lui annonce que la seule solution réside dans la castration pure et simple de notre héros.  Se rappelant sans cesse son aspect monstrueux, Raël sans hésitation donne son accord au docteur pour qu’il procède à l’ablation de sa virilité.  Le docteur ayant opéré, il place le sexe de Raël dans un tube de plastique jaune et le lui donne.  L’infortuné héros veut le mettre autour de son cou mais surgit alors du ciel un énorme corbeau qui lui fonce dessus.  Sans pouvoir esquisser le moindre geste de défense, Raël se voit voler une seconde fois sa virilité.  L’oiseau, sa rapine faite, s’envole au-dessus d’un grand fleuve et laisse notre héros sur la berge, anéanti.

Il erre alors, la tête basse, le long du ravin qui borde le grand fleuve (Ravine).  Des images du passé resurgissent dans sa tête.  Il sent la mélancolie l’envahir et alors se passe un miracle : une porte s’ouvre dans la roche, donnant accès au monde qu’il a quitté il y a tellement de temps.  New York apparaît et l’invite à rejoindre son monde, sa réalité.  Il doit cependant faire vite car déjà la porte se referme tandis que meurent les lumières sur Broadway (The Light dies down on Broadway).  Raël a presque pris sa décision quand un cri retentit derrière lui venant des flots tumultueux du large fleuve.  Le regard de Raël croise celui de son frère John, en train de se noyer.  Eperdu, Raël voit la porte lentement mais sûrement se fermer, lui supprimant tout espoir de rejoindre son univers. Il croise une fois de plus le regard implorant de John en train de succomber aux flots (Riding the Scree – In the Rapids).

N’écoutant que sa conscience, Raël plonge dans les rapides et, remontant le courant du Scree tourmenté, il atteint la forme presque mourante de son frère et l’agrippe.  C’est alors qu’il se rend compte que celui-ci n’est autre que lui-même.  En fin de compte, tout cela n’était-il pas sous ses yeux, dans sa tête, partout et toujours.  Une sorte de reflet de sa propre réalité ? Le miroir de son âme (It) ?  La seule chose qui restera mystérieuse ou tout simplement mystique, c’est la présence de cet agneau mort dans Broadway.

El Jice (septembre 2001).

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