mardi 24 novembre 2015

LES CHRONIQUES D'EL'BIB : L'APPEL DE CTHULHU, Lovecraft

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L’Appel de Cthulhu (1926, Weird Tales 1928) est certainement la nouvelle la plus connue de Lovecraft, dans la mesure où elle constitue le texte fondateur du "Mythe". Elle s’ouvre du reste, dès les premières lignes, par un paragraphe très « réalisme fantastique » : Ce qui est, à mon sens, pure miséricorde en ce monde, c'est l'incapacité de l'esprit humain à mettre en corrélation tout ce qu'il renferme. Nous vivons sur une île de placide ignorance, au sein des noirs océans de l'infini, et nous n'avons pas été destinés à de longs voyages. Les sciences, dont chacune tend dans une direction particulière, ne nous ont pas fait trop de mal jusqu'à présent ; mais un jour viendra où la synthèse de ces connaissances dissociées nous ouvrira des perspectives terrifiantes sur la réalité et la place effroyable que nous y occupons ; alors cette révélation nous rendra fous, à moins que nous ne fuyions cette clarté funeste pour nous réfugier dans la paix et la sécurité d'un nouvel âge de ténèbres.
Il s’agit de l’histoire d’un jeune homme de Boston, Francis Thurston, qui hérite des biens de son grand oncle, Georges G. Angell, professeur de langues sémitiques à l’université Brown de Providence. Ce dernier vient de mourir dans des conditions mystérieuses. Dans une cassette pleine de papiers regroupés dans un dossier intitulé « Le Culte de Cthulhu », il découvre une statuette de facture récente représentant un monstre repoussant. D’après les notes, elle serait l’œuvre d’un artiste décadent, Henry Wilcox que le professeur va rencontrer. Ce dernier est victime de cauchemars récurrents (entre le 28 février et le 2 avril 1925) dans lesquels il voit d’étranges structures cyclopéennes, le monstre, et entend une lancinante invocation : Ph'nglui mglw'nafh Cthulhu R'lyeh wgah'nagl fhtagn ! Iä Iä, Cthulhu fhtagn ! Puis, lors d’un congrès d’archéologie à la Nouvelle Orléans, le professeur rencontre un inspecteur de police, Legrasse, qui vient témoigner de la tenue d’un étrange culte dans la région et exhibe une statuette identique à celle de Wilcox. L’enquête menée par le policier et ses hommes aboutit à des conclusions étonnantes : Ils adoraient, disaient-ils, les Grands Anciens, qui avaient vécu des éons avant l'Homme. Ils étaient venus du ciel, quand le monde était encore jeune. Ces Grands Anciens s'étaient retirés dans les entrailles de la terre ou au plus profond des océans ; mais leurs cadavres avaient révélé leurs secrets à travers les rêves des premiers hommes qui avaient fondé une secte qui perdurait encore. D'après l’un des cultistes, le cœur de la secte se trouvait dans les déserts inexplorés d'Arabie, au sein d'Irem la Cité des Piliers, Celle-qui-Songe, l'Intouchée. Cette religion n'avait aucun lien avec le culte des sorcières européen et, hormis ses fidèles, nul ne le connaissait. Aucun livre n'en faisait clairement mention, même si, d'après les Eternels Mandarins, les connaisseurs pouvaient trouver des double-sens troublants dans le Necronomicon.
Après la disparition de son oncle, le jeune Francis Thurston va poursuivre l’enquête et tombe sur le récit mystérieux du naufrage d’un marin norvégien qui aurait vu une étrange île dans le Pacifique. Il s’agit de la Cité de R’Lyeh dans laquelle trône Cthulhu. Il perd la raison et décédera peut après son retour en Norvège.

° Cthulhu. On dit souvent que Lovecraft suggère plus qu’il ne décrit. Et pourtant ici, les descriptions du Grand Ancien sont nombreuses et détaillées : Surplombant cette écriture inconnue, se trouvait une forme censée de toute évidence représenter quelque chose, mais dont la réalisation impressionniste empêchait tout idée précise quant à sa nature. On eut dit une sorte de créature, ou de symbole monstrueux, dont l'aspect n'avait pu jaillir que d'un esprit malade. Si j'avouais que mon imagination fertile y vit tout à la fois une pieuvre, un dragon et la caricature d'un être humain, je ne trahirais pas l'aspect général de la chose. Une tête visqueuse à laquelle se greffaient des tentacules surmontait un corps écailleux pourvu d'ailes rudimentaires ; mais c'était la silhouette dans son ensemble qui rendait la créature aussi terrifiante. Derrière elle, on pouvait deviner les éléments d'une architecture cyclopéenne.

° R’Lyeh. Il en est de même de la cité de R’Lyeh, décrite avec minutie, avec ses angles impossibles, ses portes qui défient toute géométrie et son repoussant monolithe.

° Livres. Un bon récit lovecraftien s’appuie évidemment sur des livres. Le Necronomicon est en bonne place, mais aussi des ouvrages réels comme L’Histoire de l’Atlantide et La Lémurie perdue de Scott-Elliot, Le Rameau d’or de Frazer, ou encore Le Culte des Sorciers en Europe Occidentale de Margaret, Murray.

° Parmi les artistes particulièrement sensibles qui auraient eu de visions similaires à celle de Wilcok, Lovecraft cite Ardois-Bonnot, peintre français qui aurait réalisé Paysage de Rêve. La Clef d’Argent, sur son site, rebondit sur cette « mystification » : « Félicien Ardois-Bonnot  (1885-1926) demeure sans doute «[...] pour le grand public, l'un des derniers peintres français d'inspiration authentiquement symboliste» s'il faut en croire John Coolter, le célèbre critique britannique, ami de l'artiste. En effet, Ardois-Bonnot est avant tout considéré et apprécié pour des toiles datant de sa première période comme Eau Morte (1910) ou Le jardin allégorique (1912) où se retrouvent, selon la belle expression de Francis Vielé-Griffin qui définissait ainsi le Symbolisme, «[...] la passion du mouvement au geste infini, de la Vie même, joyeuse ou triste, belle de toute la multiplicité de  ses métamorphoses, [...] riche du lyrisme éternel.»
On ignore bien souvent qu'à partir de 1925 et jusqu'en juin de l'année suivante, date à laquelle il mourut des suites d'un accident de la route survenu dans des circonstances encore mal définies, il avait entamé bien malgré lui une sorte de seconde carrière, en essayant de matérialiser par des œuvres oppressantes et sombres les rêves récurrents qui l'assaillaient depuis qu'une nuit d'avril 1925, lui avaient été révélées, comme il le nota dans son journal, «les terribles perspectives d'une ville sous-marine où dormait de toute éternité une créature gigantesque appelée à s'éveiller un jour». Rares, pourtant, sont les témoignages de cette époque, puisqu'il brûla presque toutes ses nouvelles œuvres, à l'exception notable de Paysage de rêve, qui avait fait scandale au Salon de Printemps de Paris, et de quelques esquisses. »

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