Le Al
Azif (the Necronomicon) de
Abdul Alhazred publié en 1973 par Owlswick Press (Philadelphia) est un ouvrage
étonnant, puisque l’essentiel de ses pages est rédigé en une langue supposée être
le Duriaque[1], et totalement
illisible si l’on ne dispose que de nos seules modestes neurones. Cela dit, les
éditeurs ne se sont pas trop fatigués, utilisant 16 pages de gribouillis
arabisants avec quelques modifications en début et en fin de planches. Cette
iconographie est dûe à Robert Dills. Une curiosité qui a été tirée à 348
exemplaires, aujourd’hui introuvables[2].
Mais c’est surtout l’introduction, signée de Lyon Sprague de Camp, qui va
retenir notre attention. Cela fleure bon la mystification d’étudiants
malicieux. Les lignes qui suivent sont une traduction libre de l’essentiel de
la dite préface[3].
Duria [4]
est un village du nord de l’Iraq, à la frontière de la région linguistique du
Kurdistan. Ici, comme dans des centaines de villages irakiens aux cabanes
construites avec de la boue séchée, nous sommes dans le dernier endroit où l’on
parle encore le Duriaque. C’est la seule langue vivante provenant des anciens
Acadiens et Assyro-Babyloniens. La forme traditionnelle écrite de ce langage
fut développée au IVème siècle av. J.C. par les prêtres et les missionnaires
chrétiens assyriens. Comme beaucoup d’autres langues sémites, il s’agit d’une
écriture très compacte, qui ignore les voyelles atones et combine deux ou même
trois caractères en un. Cela rend très délicat toute traduction. Comme les
langues hébraïque, arabe et syrienne, le Duriaque s’écrit de droite à gauche.
Le préfacier
demeura plusieurs jours à Baghdad en 1967 pour visiter les ruines de Babylone
et de Ctésiphon. Alors qu’il « chinait » avec un ami, il fut abordé
par un membre de la Direction Générale des Antiquités Irakiennes, avec lequel
il avait correspondu au sujet de photographies de sites archéologiques. L’homme expliqua qu’il avait un manuscrit à
vendre. C’était là une proposition étrange, car le gouvernement irakien luttait
sévèrement contre le pillage des pièces archéologiques, et les employés de ce
département étaient connus pour leur probité..
Le
voyageur se renseigna sur l’affaire, et la refusa poliment. Pourtant, précisa
le « contact », il s’agissait d’une intéressante curiosum [5]
dont son ministère n’avait pas l’utilité. Comme le prix semblait raisonnable et
que le volume, s’il s’avérait sans valeur, pourrait au moins constituer un
ornement décoratif amusant sur une table basse, Sprague de Camp finit par
l’acquérir.
Il
parla de cette affaire à l’un de ses amis, guide touristique à Beyrouth, bien
introuduit dans les milieux culturels islamistes qui lui raconta ce qu’il
savait sur ce livre.
La
vente, semblait-il, avait été « programmée » à un haut niveau de la
Direction Générale. Ecrit sur du parchemin en écriture duriaque, le manuscrit
avait été déniché par un mineur clandestin oeuvrant parmi les tombes de Duria,
puis était parvenu par des voies détournées entre les mains de la Direction
Générale des Antiquités. L’un des plus
importants archéologues irakiens, internationalement respecté, Ja’afar Babili,
avait été désigné pour effectuer la traduction du livre en Arabe moderne. Ce
fonctionnaire avait à peine commencé son travail qu’il annonça avec jubilation
qu’il s’agissait d’une copie complète — ou presque — d’un exemplaire du célèbre
Necronomicon d’Alhazred, ou Kitab Al-Azif pour donner son titre en
version originale. La version arabe de cet ouvrage avait disparu depuis
plusieurs siècles, même si des rumeurs concernant sa conservation dans des endroits
discrets continuaient de circuler dans certains cercles ésotériques.
En
étudiant l’écriture, Babili conclut que cette transcription datait de 760 av.
J.C. Babili remarqua aussi que si l’écriture était parfaitement
« lisse » dans pratiquement la totalité de l’ouvrage, elle avait
tendance à se détériorer dans les huit dernières pages, comme si le scripteur
avait travaillé en hâte et sous une forte pression. A ce stade du travail, il
n’était pas encore établi si la version duriaque provenait ou non de la version
originale en arabe. Babili poursuivit sa traduction puis, quelques semaines
plus tard, disparut. On ne trouva plus aucune trace de lui ; aucun motif plausible
de sa disparition ne put être établi. C’était un homme sobre, travailleur, un fonctionnaire
consciencieux, attaché à sa famille.
Son
subordonné, Ahmad ibn-Yahya, fut provisoirement nommé à sa place. Il poursuivit
aussitôt la traduction du Necronomicon.
Ibn-Yahya était un célibataire aux moeurs plus libres que son prédécesseur ;
mais personne, dans sa profession, ne lui avait jamais reproché un manquement
aux règles ou un excès de zèle. Au bout de deux semaines, la propriétaire
d’Ibn-Yahya rapporta qu’elle avait entendu des hurlements dans le modeste
appartement qu’il occupait sur le Musa al-Khadim. Entrant dans le logement avec
un passe, elle trouva les pièces vides. Personne ne savait rien au sujet
d’Ahmad ibn-Yahya.
Le
nouveau spécialiste irakien qui entreprit de poursuivre la traduction fut le
Professeur Yuni Abdalmajid, de l’Université de Baghdad. Il commença sa tâche
alors que les autres membres de la Direction générale des Antiquités hésitaient
à faire poursuivre le travail. Le professeur Abdalmajid était considéré comme
un peu excentrique par ses collègues, mais ils respectaient sa grande intelligence.
C’était lui qui avait percé le secret des tablettes présumériennes de Rawson,
trouvées à Ur, et fait la
lumière sur les sites jusque là obscurs de l’Histoire présumérienne de la
Mésopotamie.Le professeur Abdalmajid était au travail depuis trois jours
lorsqu’il disparut lui aussi. Il habitait seul dans une petite maison de la
banlieue de Baghdad, dans le District de Kadhmiyya. Son absence ne fut donc pas
remarquée immédiatement. La police fut cependant prévenue par l’Université, en
raison de ses absences répétées en cours. Dans le bureau d’Abdalmajid, on
releva des taches de sang sur le sol, les murs, et au plafond, mais le
professeur ne fut pas jamais retrouvé. Il ne fait pas de doute que toutes ces
disparitions doivent avoir une explication rationnelle, même si on ne peut
s’empêcher de penser à la fin même d’Abdul Alhazred. Selon de nombreux
témoignages, ce littérateur excentrique n’est-il pas est censé avoir été dévoré
vivant par un monstre invisible ?.
Après
ces disparitions successives, la Direction Générale prit la décision de ne
confier le manuscrit à personne d’autre. L’Irak ne pouvait en effet pas courir
le risque de continuer à perdre sa précieuse matière grise. A cette époque, la
Direction était présidée par le Dr Mahmud ash-Shammari, un nationaliste pur et
dur, farouche opposant des Etats-Unis en raison de leur soutien à Israël. Son plan
était d’introduire discrètement aux USA le manuscrit qui ne manquerait
certainement pas de provoquer un malheur parmi leurs savants.
Le
guide conseilla à l’écrivain de détruire le livre, ce qu’il refusa de faire. Il
était en effet connu comme un
rationaliste et un matérialiste intransigeant, irréductiblement étranger aux
dieux, spectres, démons, et autres fantômes. Il connaissait parfaitement les allusions
au Necronomicon dans les histoires
d’H.P. Lovecraft , mais n’était nullement enclin à admettre la réalité des
Grands Anciens et autres entités surnaturelles. En fait, pour lui, Alhazred et
son ouvrage maudit n’étaient rien d’autre qu’une sympathique mystification
littéraire.
Cela ne
l’empêchera pas, de retour chez lui, de faire publier un fac-similé du
manuscrit original. Il confiera à un ami, sans se départir de son rationalisme
et uniquement à titre d’hypothèse, que s’il s’agissait bien du Necronomicon, la disparition des
traducteurs pouvait s’expliquer par l’invocation des créatures du dehors, faite
accidentellement alors qu’ils relisaient leurs notes de travail. Dans ce cas,
le problème, bien sûr, aurait été de maîtriser les formules de protection, ce
qui manifestement n’aurait pas été le cas.
Les Necronomicon Files (cf bibliographie)
nous apprennent qu’un étudiant, persuadé d’avoir affaire au manuscrit original,
avait décidé d’y consacrer sa thèse. L’éditeur devra intervenir aupès du maître
de recherches afin de dévoiler la supercherie !
[1] Langue (imaginaire) proche de l’Arabe Ancien,
supposée être le syriaque.
[2] Je remercie chaleureusement ici le R.P. Jean-Louis
Sarro pour nous en avoir procuré un exemplaire.
[3] Celle-ci a été traduite par Jacky Ferjault et publiée
dans Dragon & Microchips no 15
****
[4] Apelée aussi Douria, Duriyya, etc.
[5] En latin dans le texte.
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