Le
Necronomicon de Georges Hay / Colin Wilson a
été édité par Nelville Spearman en 1978[1], traduit par
Belfond en France (1979), puis publié par J’ai Lu l’Aventure Mystérieuse
(1983), Belfond en une nouvelle édition (1996) et repris par le Pré aux Clercs
(2008). Les deux dernières éditions sont postfacées par Joseph Altairac.
Il s’agit d’une mystification fort bien faite,
un véritable hommage à la primo-mystification de Lovecraft. L’exemplaire sur
lequel j’ai travaillé, celui de Belfond 1996, fait 226 pages, le texte du Necronomicon proprement dit ne
représentant qu’une trentaine de pages. On voit bien qu’il n’est qu’un prétexte
à l’étude faussement érudite qui va nous être proposée.
Après la reprise de L’Histoire du Necronomicon, l’ouvrage s’ouvre sur une préface de
Paul R-Michaud dans laquelle nous apprenons que Jorge-Luis Borges a perdu la
vue après avoir lu le livre maudit et que l’universitaire S.T. Joshi a
disparu au cours de son enquête pour prouver le caractère imaginaire du
manuscrit. Le préfacier cite également un levantin qui possédait l’ouvrage et
qui a accepté de le montrer rapidement. Ce qui a permis de constater qu’il
était constitué de trois parties principales :
° Une histoire de la magie et de la
démonologie sur notre planète,
° Un exposé sur les rapports entre la terre
et d’autres sphères et espaces, tels que « Yuggoth »,
° Une incroyable variété et collection de
sorts, formules et incantations.
Suit une introduction particulièrement
consistante signée Colin Wilson. Elle est d’autant plus intéressante que Colin
Wilson a d’abord été très critique vis à vis de Lovecraft (cf notamment son The Strengh of Dreams, 1962) avant de
tomber sous le charme des écrits de notre Prince Noir. August Derleth, il est
vrai, lui avait donné une petite explication de texte sur l’auteur de
Providence ! Cela donnera des écrits d’une bonne orthodoxie comme Les parasites de l’esprit (1967), Le Retour des Lloigors (1969) et un roman
remarquable, La Pierre Philosophale (1982),
dans lequel il sublimera la démarche intellectuelle de Lovecraft. Dans la
présente introduction, il reprendra la recherche qui forme la trame de ce
dernier roman, en l’appliquant à l’écrivain de Providence : traquer les
sources de l’imagination dans des états élargis de conscience. « Le monde
matériel n’est qu’un voile jeté sur une réalité plus profonde. » Lovecraft
était un authentique romantique, capable de ramener d’étonnantes visions d’un
moi mémorisé tout au long des âges. Sa mythologie proviendrait de la même source
que les visions de John Dee qui fut le premier à entrer en contact avec des
entités non-humaines… Ceci étant posé,
Colin Wilson va glisser dans la mystification, partant du Necronomicon découvert par Sprague de Camp qui, bien sûr, n’avait
pas pu tout dire dans son préambule (cf Al
Azif, 1973). Intervient alors une de
ses relations, Robert Turner, fondateur de l’Ordre de la Pierre Cubique, qui
voit dans les écrits de Lovecraft des échos de l’œuvre de Mme Blavatsky, et
notamment ses commentaires sur le Livre
de Dzyan dans La Doctrine Secrète. Spécialiste
des grimoires médiévaux, il pense aussi que l’Ermite de Providence a eu accès à
L’épée de Moïse (ouvrage du X ème
siècle), ce qui donne une intéressante touche d’authenticité à ses textes. Un
autre contact du préfacier, le Dr Carl Tausk de l’Institut Technologique de
Vienne, lui laisse entendre que le père de Lovecraft était un franc-maçon
égyptien. Sa source est un certain Dr Stanislas Hinterstoisser, autrichien
passionné de sciences occultes, avec lequel il va entrer en relation. Il va lui
expliquer que le Necronomicon est issu
de manuscrits possédés par Cagliostro, une compilation de documents magiques
venant d’Acadie, de Perse, de Babylone et de Perse connue sous le nom de Kitab ma’ani al-nafs ou Grande
Compilation d’Alkindi. Le Book of Secret
Names en serait le chapitre 9. C’est un personnage mystérieux appelé
« Grand Cèdre » qui aurait initié Winfield Lovecraft à ces écrits. Robert
Turner découvre par ailleurs au British Museum que le Roi Rodolphe II de Prague
possédait un exemplaire du Alkindi dont John Dee a traduit plusieurs pages, probablement
celles que Lovecraft cite dans son Histoire
du Necronomicon. Il tombe également sur un exemplaire du Liber Logaeth du magicien anglais. Il
est fort vraisemblable que le Rêveur de Providence ait trouvé des documents de
cette nature, oubliés dans un tiroir après le décès de son père.
Cette introduction de Colin Wilson est
complétée par une lettre du savant autrichien. Lovecraft est manifestement
entré en contact avec des forces qu’il était bien incapable de maîtriser. « Grand
Cèdre », l’initiateur du père, tenait ces documents de « l’Innermost
Shrine » (le Reliquaire Secret) qui les avait obtenus de
Fouquier-Tinville.
Suit un commentaire de Robert Turner qui
pense comme Wilson que le Al-Azif de
Sprague de Camp est bien le vrai Necronomicon
et revient sur la source vraisemblable de ce texte, à savoir le Livre de Dzyan. Il insiste notamment sur
les profonds parallélismes entre la mythologie révélée par H.P. Blavatsky et
celle des Grands Anciens. Il explique encore l’importance des matériaux
rapportés par Lovecraft de ses rêves, à la suite de plongées dans le fluide
astral également connu sous le nom « d’archives akashiques ». Il se
réfère à Eliphas Lévi qui fut le premier à théoriser sur les larves fluidiques
ou Esprits élémentaires, travaux manifestement connus de Lovecraft. Turner
s’essaye ensuite à dresser une typologie des Grands Anciens et des Anciens
Dieux, relevant que cette dernière catégorie n’est connue que par Nodens.
Les deux compères décident alors de tenter un
décryptage du Liber Logaeth ou Livre d’Enoch de John Dee, cryptogramme
incompréhensible dont le sens a toujours échappé aux chercheurs. Le contact est
pris avec David Langford, jeune informaticien passionné par la cryptographie.
Ledit informaticien livrera alors son rapport
(fort copieux), à la fois une vulgarisation de l’informatique (de son époque)
et un cours très complet de cryptographie. Et le résultat nous est donné, la
fameuse trentaine de pages propose des extraits du Necronomicon dissimulés dans le Liber
Logaeth de John Dee. La lecture de cette traduction est amusante, naïf
assemblage de documents picorés dans Les
Clavicules de Salomon, Les Trois
Livres de Philosophie Occulte de Cornelius Agrippa, Le Clé de Salomon ou encore la Polygraphie
de l’abbé Trithème, le tout relooké aux couleurs du Mythe. L’ensemble fait
18 courts chapitres où on apprend ce qu’il faut savoir sur les Grands Anciens,
sur les techniques à utiliser pour les invoquer, que ce soient des rituels ou
des outils (encens, cimeterre gravé et bien sûr pentagrammes). On a droit
également à de sympathiques petits bonus sur le plateau de Leng dans son désert
glacé ou sur Kadath l’Inconnue.
L’ouvrage se termine par des appendices très
fournis qui ressortent plus des « études lovecraftiennes » que de la
mystification. Sprague de Camp nous brosse un portrait assez sinistre du jeune
Lovecraft reclus entre ses tantes et sa mère et qui ne pouvait prendre la
moindre initiative sans demander à… maman. Christopher Frayling nous propose
une fort intéressante étude sur le rôle du rêve chez Lovecraft. Quant à Angela
Carter, elle épluche avec beaucoup de perspicacité une géographie
lovecraftienne empreinte de terreur dans ses moindres recoins, qu’ils soient
ruraux ou citadins. Last but not Least, Joseph Altairac conclut l’ensemble en
nous montrant que l’Amérique est la patrie des Livres Maudits. Il cite bien sûr
le Livre des Mormons révélé par
Joseph Smith JR. (1805-1844), mais aussi l’invraisemblable Oasphe de John Ballou Newbrough (1828-1891) qui se proposait de
réécrire l’histoire de l’univers tout entier en se fondant sur une cosmogonie
incroyablement complexe.
Colin Wilson racontera dans le numéro 14 du
fanzine Crypt of Cthulhu (1984) la véritable histoire de ce livre qu’il
avait déjà esquissée dans Fantasy Macabre
(1980). L’éditeur Neville Amstrong avait chargé George Hay de produire un Necronomicon crédible. Peu inspiré, Hay
appela à la rescousse Wilson. Ce dernier chargera l’occultiste Robert Turner de
rédiger la fameuse trentaine de pages.
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