mardi 18 avril 2017

LES CHRONIQUES D'EL'BIB : LE NECRONOMICON DE COLIN WILSON





Le Necronomicon de Georges Hay / Colin Wilson a été édité par Nelville Spearman en 1978[1], traduit par Belfond en France (1979), puis publié par J’ai Lu l’Aventure Mystérieuse (1983), Belfond en une nouvelle édition (1996) et repris par le Pré aux Clercs (2008). Les deux dernières éditions sont postfacées par Joseph Altairac.
Il s’agit d’une mystification fort bien faite, un véritable hommage à la primo-mystification de Lovecraft. L’exemplaire sur lequel j’ai travaillé, celui de Belfond 1996, fait 226 pages, le texte du Necronomicon proprement dit ne représentant qu’une trentaine de pages. On voit bien qu’il n’est qu’un prétexte à l’étude faussement érudite qui va nous être proposée.
Après la reprise de L’Histoire du Necronomicon, l’ouvrage s’ouvre sur une préface de Paul R-Michaud dans laquelle nous apprenons que Jorge-Luis Borges a perdu la vue après avoir lu le livre maudit et que l’universitaire S.T. Joshi a disparu au cours de son enquête pour prouver le caractère imaginaire du manuscrit. Le préfacier cite également un levantin qui possédait l’ouvrage et qui a accepté de le montrer rapidement. Ce qui a permis de constater qu’il était constitué de trois parties principales :
° Une histoire de la magie et de la démonologie sur notre planète,
° Un exposé sur les rapports entre la terre et d’autres sphères et espaces, tels que « Yuggoth »,
° Une incroyable variété et collection de sorts, formules et incantations.
Suit une introduction particulièrement consistante signée Colin Wilson. Elle est d’autant plus intéressante que Colin Wilson a d’abord été très critique vis à vis de Lovecraft (cf notamment son The Strengh of Dreams, 1962) avant de tomber sous le charme des écrits de notre Prince Noir. August Derleth, il est vrai, lui avait donné une petite explication de texte sur l’auteur de Providence ! Cela donnera des écrits d’une bonne orthodoxie comme Les parasites de l’esprit (1967), Le Retour des Lloigors (1969) et un roman remarquable, La Pierre Philosophale (1982), dans lequel il sublimera la démarche intellectuelle de Lovecraft. Dans la présente introduction, il reprendra la recherche qui forme la trame de ce dernier roman, en l’appliquant à l’écrivain de Providence : traquer les sources de l’imagination dans des états élargis de conscience. « Le monde matériel n’est qu’un voile jeté sur une réalité plus profonde. » Lovecraft était un authentique romantique, capable de ramener d’étonnantes visions d’un moi mémorisé tout au long des âges. Sa mythologie proviendrait de la même source que les visions de John Dee qui fut le premier à entrer en contact avec des entités non-humaines…  Ceci étant posé, Colin Wilson va glisser dans la mystification, partant du Necronomicon découvert par Sprague de Camp qui, bien sûr, n’avait pas pu tout dire dans son préambule (cf Al Azif, 1973).  Intervient alors une de ses relations, Robert Turner, fondateur de l’Ordre de la Pierre Cubique, qui voit dans les écrits de Lovecraft des échos de l’œuvre de Mme Blavatsky, et notamment ses commentaires sur le Livre de Dzyan dans La Doctrine Secrète. Spécialiste des grimoires médiévaux, il pense aussi que l’Ermite de Providence a eu accès à L’épée de Moïse (ouvrage du X ème siècle), ce qui donne une intéressante touche d’authenticité à ses textes. Un autre contact du préfacier, le Dr Carl Tausk de l’Institut Technologique de Vienne, lui laisse entendre que le père de Lovecraft était un franc-maçon égyptien. Sa source est un certain Dr Stanislas Hinterstoisser, autrichien passionné de sciences occultes, avec lequel il va entrer en relation. Il va lui expliquer que le Necronomicon est issu de manuscrits possédés par Cagliostro, une compilation de documents magiques venant d’Acadie, de Perse, de Babylone et de Perse connue sous le nom de Kitab ma’ani al-nafs ou Grande Compilation d’Alkindi. Le Book of Secret Names en serait le chapitre 9. C’est un personnage mystérieux appelé « Grand Cèdre » qui aurait initié Winfield Lovecraft à ces écrits. Robert Turner découvre par ailleurs au British Museum que le Roi Rodolphe II de Prague possédait un exemplaire du Alkindi dont John Dee a traduit plusieurs pages, probablement celles que Lovecraft cite dans son Histoire du Necronomicon. Il tombe également sur un exemplaire du Liber Logaeth du magicien anglais. Il est fort vraisemblable que le Rêveur de Providence ait trouvé des documents de cette nature, oubliés dans un tiroir après le décès de son père.
Cette introduction de Colin Wilson est complétée par une lettre du savant autrichien. Lovecraft est manifestement entré en contact avec des forces qu’il était bien incapable de maîtriser. « Grand Cèdre », l’initiateur du père, tenait ces documents de « l’Innermost Shrine » (le Reliquaire Secret) qui les avait obtenus de Fouquier-Tinville.
Suit un commentaire de Robert Turner qui pense comme Wilson que le Al-Azif de Sprague de Camp est bien le vrai Necronomicon et revient sur la source vraisemblable de ce texte, à savoir le Livre de Dzyan. Il insiste notamment sur les profonds parallélismes entre la mythologie révélée par H.P. Blavatsky et celle des Grands Anciens. Il explique encore l’importance des matériaux rapportés par Lovecraft de ses rêves, à la suite de plongées dans le fluide astral également connu sous le nom « d’archives akashiques ». Il se réfère à Eliphas Lévi qui fut le premier à théoriser sur les larves fluidiques ou Esprits élémentaires, travaux manifestement connus de Lovecraft. Turner s’essaye ensuite à dresser une typologie des Grands Anciens et des Anciens Dieux, relevant que cette dernière catégorie n’est connue que par Nodens.
Les deux compères décident alors de tenter un décryptage du Liber Logaeth ou Livre d’Enoch de John Dee, cryptogramme incompréhensible dont le sens a toujours échappé aux chercheurs. Le contact est pris avec David Langford, jeune informaticien passionné par la cryptographie.
Ledit informaticien livrera alors son rapport (fort copieux), à la fois une vulgarisation de l’informatique (de son époque) et un cours très complet de cryptographie. Et le résultat nous est donné, la fameuse trentaine de pages propose des extraits du Necronomicon dissimulés dans le Liber Logaeth de John Dee. La lecture de cette traduction est amusante, naïf assemblage de documents picorés dans Les Clavicules de Salomon, Les Trois Livres de Philosophie Occulte de Cornelius Agrippa, Le Clé de Salomon ou encore la Polygraphie de l’abbé Trithème, le tout relooké aux couleurs du Mythe. L’ensemble fait 18 courts chapitres où on apprend ce qu’il faut savoir sur les Grands Anciens, sur les techniques à utiliser pour les invoquer, que ce soient des rituels ou des outils (encens, cimeterre gravé et bien sûr pentagrammes). On a droit également à de sympathiques petits bonus sur le plateau de Leng dans son désert glacé ou sur Kadath l’Inconnue.
L’ouvrage se termine par des appendices très fournis qui ressortent plus des « études lovecraftiennes » que de la mystification. Sprague de Camp nous brosse un portrait assez sinistre du jeune Lovecraft reclus entre ses tantes et sa mère et qui ne pouvait prendre la moindre initiative sans demander à… maman. Christopher Frayling nous propose une fort intéressante étude sur le rôle du rêve chez Lovecraft. Quant à Angela Carter, elle épluche avec beaucoup de perspicacité une géographie lovecraftienne empreinte de terreur dans ses moindres recoins, qu’ils soient ruraux ou citadins. Last but not Least, Joseph Altairac conclut l’ensemble en nous montrant que l’Amérique est la patrie des Livres Maudits. Il cite bien sûr le Livre des Mormons révélé par Joseph Smith JR. (1805-1844), mais aussi l’invraisemblable Oasphe de John Ballou Newbrough (1828-1891) qui se proposait de réécrire l’histoire de l’univers tout entier en se fondant sur une cosmogonie incroyablement complexe.
Colin Wilson racontera dans le numéro 14 du fanzine Crypt of Cthulhu (1984) la véritable histoire de ce livre qu’il avait déjà esquissée dans Fantasy Macabre (1980). L’éditeur Neville Amstrong avait chargé George Hay de produire un Necronomicon crédible. Peu inspiré, Hay appela à la rescousse Wilson. Ce dernier chargera l’occultiste Robert Turner de rédiger la fameuse trentaine de pages.


[1] Réédité en 1980 par Corgi Books puis en 1992 par Skoob Esoterica.

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