Thomas
Ligotti est trop peu connu en France
et
Chants du Cauchemar et de la Nuit (Dystopia Workshop 2014) vient opportunément combler
– partiellement - cette lacune. Très célèbre aux États-Unis, il a du reste
défrayé récemment la chronique, les réalisateurs de la série True
Détective s’étant manifestement un peu trop inspiré d’une de ses
œuvres. Tous les propos philosophiques,
nihilistes et antinatalistes qui sortaient de la bouche du personnage
principal, Matthew McConaughey, étaient en effet fortement influencés
par l’essai de Ligotti : The conspiracy
against the human race.
La fiction de Ligotti s’inscrit
dans la lignée de celles de Poe et surtout de Lovecraft. Pas besoin de reprendre
artefacts du Maître de Providence (Cthulhu, Necronomicon…) pour nous faire
plonger dans une horreur cosmique sans nom. L’homme n’est rien dans une
mécanique glauque qui sème l’incompréhensible à la limite du non-sens. Je n’ai
pu m’empêcher en lisant ce recueil à penser au Brussolo des années 80, mais un
Brussolo qui se serait totalement immergé dans la « Métaphysique du Néant ».
Manuscrits mystérieux, anciens Dieux disparus, personnages sans consistance
peuplent des nouvelles dont certaines ne sont pas sans rappeler La Couleur
Tombée du Ciel (L’ombre au fond du monde), Dagon (Nethescurial)
ou encore Gordon Pym nommément cité dans Le Tsalal.
Une petite perle, dans cet ensemble
décoiffant : « Vastarien ».
Nous sommes en compagnie de Victor Keirion, reclus dans sa mansarde, qui passe
son temps à contempler sa cité décrépie (qui porte le nom de la nouvelle) et
surtout de rêver en la magnifiant. Des rêves dont il s’extrait avec de plus en
plus de mal, cherchant sans fin la clef du mystère de ce charme sulfureux qu’il
éprouve en arpentant les ruelles oniriques. Il fait régulièrement le tour des
bouquinistes pour essayer de trouver une explication à cette extraordinaire
transformation et tombe un jour, dans une obscure échoppe, sur un livre sans
titre qui est une véritable plongée dans son univers impossible. Le livre coûte
une fortune, mais grâce à l’aide d’un mystérieux client tout de noir vêtu, il
peut emporter l’ouvrage à petit prix. Et de replonger dans ses rêves, en
compagnie de ce petit guide qui lui offre des perspectives inouïes. Las, au fil
du temps, la cité idéale se rétrécit et finit par se fondre. Il comprendra que
le client mystérieux était sur la même piste, mais ne pouvant plonger lui-même
dans l’improbable Vastarian, il piratait en quelque sorte les rêves de Keirion.
Ce dernier tuera le vampire onirique et sera arrêté par une équipe de
psychiatres qui ne comprendra pas pourquoi l’intéressé avait près de lui un
livre… vierge !
n [1]
Recueils
·
Chants du
cauchemar et de la nuit, Dystopia,
2014, trad. Anne-Sylvie Hommassel
n Nouvelles
isolées
·
La Dernière
aventure d'Alice, 1990 (Alice's Last Adventure, 1988), trad. Jean-Daniel Brèque
in
13 histoires diaboliques, Albin Michel
·
L'Œil du lynx, 1998 (Eye of the Lynx, 1983), trad. Thierry
Sandalijan
in
21 nouvelles histoires de sexe et d'horreur, Albin Michel
·
La Secte du dieu fou, 1999 (The Sect of the Idiot, 1988), trad. Eric Holweck
in
Le Cycle d'Azatoth, Oriflam
·
Ombre et obscurité, 1999 (The Shadow, the Darkness, 1999), trad. Claudine
Richetin
in
999, Albin Michel
·
L'Autre festival des masques, 1999 (The Greater Festival Of Masks, 1986), trad. Yes Meynard
in
Solaris n°128