vendredi 14 novembre 2025

LE MANUSCRIT DU Dr FREGUS Mc BRAIN


 

Le manuscrit du Dr Fregus McBrain (vers 1763)

Luminescentae Occultae in Lacu Nessensi

(titre reconstruit)

1. Le contexte : un médecin-naturaliste écossais du XVIIIe siècle

Le « Dr Fregus McBrain » — nom typiquement dreamien — apparaît comme un :

  • médecin rural,
  • naturaliste amateur,
  • proche des cercles presbytériens éclairés,
  • intéressé par les phénomènes lacustres, les feux follets et les curiosités telluriques.

Lovecraft rêve souvent de savants du XVIIIe qui tiennent des observations interdites, trop étranges pour les sociétés savantes.

Le manuscrit de McBrain s’inscrit parfaitement dans cette veine.


2. Le contenu supposé du manuscrit

Selon la lettre, McBrain affirme avoir descendu — guidé par des pêcheurs — dans des grottes profondes sous le Loch Ness.
Il y aurait observé une « luminescence oscillante », décrite comme :

  • un halo bleu-verdâtre,
  • pulsatile,
  • non associé à la présence de matières phosphorescentes connues,
  • s’étendant dans des galeries d’au moins trois niveaux de profondeur.

Ce type de lumière est un motif directement lovecraftien :
on pense aux cavernes sous Kingsport, aux feux des Mi-Go ou aux « énergies » de la vallée glacée de The Festival.

Le rêve suggère que McBrain avait noté :

  • l’impossibilité de mesurer la source,
  • l’impression que la lumière répondait aux mouvements,
  • un léger vertige acoustique, comme si un son très bas accompagnait les pulsations.

3. Le refus par l’éditeur Mark Kerr (1763)

Mark Kerr aurait rejeté le manuscrit comme :

  • « trop spéculatif »,
  • « contraire aux saines doctrines naturelles »,
  • et potentiellement « dangereux pour les simples d’esprit ».

Cette mention est purement lovecraftienne :
le mythe du livre refusé est un classique de ses constructions oniriques (comme l’Unaussprechlichen Kulten ou ses versions imaginaires du Necronomicon).

Le refus date de 1763, ce qui est intéressant :
c’est l’année où paraissent plusieurs traités sur les lumières atmosphériques, les feux de Saint-Elme et l’électricité naturelle.
Lovecraft connaissait ces dates et les glisse inconsciemment dans son rêve.


4. Quelle pourrait être la nature de la luminescence ?

Dans une lecture lovecraftienne :

  • soit une présence pré-humaine, résiduelle, comme un organe sensoriel d’une entité endormie,
  • soit un phénomène interdimensionnel, une interface lumineuse provoquée par un stress géologique,
  • soit une trace énergétique laissée par les « dieux abyssaux » du mythe personnel de Lovecraft.

Dans ses rêves, la lumière oscillante renvoie souvent à :

  • la présence d’un portail,
  • un passage vers les Contrées du Rêve,
  • ou la proximité de créatures semi-corporelles.

5. Le sens du rêve pour Lovecraft

Ce petit fragment sur McBrain révèle :

  • son obsession des grottes aquatiques,
  • sa peur des lacs profonds (déjà présente dans The Moon-Bog),
  • son idée que la lumière peut être un signe d’altérité, pas de sécurité,
  • et son goût pour les livres fictifs du XVIIIe siècle rejetés par les rationalistes.

Le rêve fonctionne comme une note préparatoire involontaire pour ses récits de gouffres, de lumières anormales et de phénomènes lacustres.

Conclusion

Cet « ouvrage du Dr Fregus McBrain » n’existe pas, bien sûr, mais Lovecraft en donne suffisamment d’éléments pour qu’on puisse en reconstituer :

  • la nature,
  • le contenu,
  • le contexte scientifique,
  • et même le style probable.

C’est typiquement un proto-grimoire naturaliste, un precursor text que Lovecraft aurait pu intégrer dans son panthéon de livres interdits.

INCREVABLE L'AMI YVES FRÉMION


 

jeudi 13 novembre 2025

LE MONAS HIEROGLYPHICA de John Dee

 


Le Monas Hieroglyphica (publié en 1564) est probablement l’ouvrage le plus énigmatique de John Dee (1527-1608), mathématicien, astrologue, alchimiste et conseiller de la reine Élisabeth Iʳᵉ. Ce petit livre de 24 théorèmes ésotériques est l’un des textes fondateurs de l’hermétisme de la Renaissance.

Voici les points essentiels :


📖 Contexte

  • Date et lieu de publication : Anvers, 1564, imprimé par Guillaume Silvius.
  • But déclaré : révéler un symbole universel, la « Monad », censé contenir la clé de l’unité cosmique et des mystères divins.
  • Dédicace : adressée à l’empereur Maximilien II du Saint-Empire, car Dee espérait obtenir une charge d’astrologue impérial.

🔑 La Monad hiéroglyphique

L’élément central de l’ouvrage est le glyphe unique qu’il a conçu :

  • Un point dans un cercle (symbole solaire)
  • Surmonté du croissant lunaire
  • Reposant sur une croix
  • Et complété par les signes des éléments

Ce symbole, explique Dee, résume toute la structure de l’univers : le Soleil et la Lune, les quatre éléments, la croix des directions cardinales, l’unité divine et le rapport entre le macrocosme et le microcosme.


🧩 Structure de l’ouvrage

L’ouvrage est divisé en 24 théorèmes qui forment un chemin initiatique.
Dee y aborde :

  • La géométrie sacrée
  • Les correspondances planétaires et zodiacales
  • L’alchimie spirituelle (transmutation de l’âme)
  • L’unité mathématique et divine de toute chose

Le texte est très allusif et cryptique, destiné à un lecteur « préparé » plutôt qu’à un débutant. Dee précise qu’une mauvaise interprétation pourrait « ébranler l’esprit » de ceux qui n’ont pas la formation nécessaire.


🧪 Portée hermétique

  • C’est à la fois un traité de magie mathématique, de kabbale chrétienne et un manuel d’alchimie philosophique.
  • Dee y voit l’expression du Verbe créateur, une clé pour comprendre le rapport entre Dieu, l’Homme et l’Univers.
  • Le texte a inspiré plusieurs occultistes postérieurs, notamment les rosicruciens et les hermétistes du XIXᵉ siècle.

🏛️ Influence et postérité

  • Le Monas Hieroglyphica fascina des érudits comme Gérard Dorn (disciple de Paracelse), Athanasius Kircher et plus tard Éliphas Lévi.
  • Son caractère cryptique en fit un livre de méditation pour les alchimistes.
  • Il a souvent été associé à l’œuvre au noir, blanc et rouge de l’alchimie, car Dee décrit la Monad comme un outil de transmutation.
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Allons dans le détail des 24 théorèmes du Monas Hieroglyphica de John Dee.
Je te fais un résumé explicatif, clair mais respectueux de l’esprit cryptique de Dee — histoire de garder un peu de mystère.


📚 Les 24 Théorèmes de la Monad Hiéroglyphique

1 – L’Unité cosmique

Tout part de l’Un : le point dans le cercle. C’est l’origine divine de toutes choses.
Le cercle est l’image de l’éternité et du cosmos.

2 – Soleil et Lune

La lumière du Soleil et le reflet de la Lune sont les deux grands luminaires.
Ils régulent les rythmes célestes et terrestres.
L’union de leurs symboles dans la Monad exprime la complémentarité du masculin et du féminin.

3 – La Lune croissante et décroissante

Le croissant contient déjà en puissance la pleine lune.
Dee insiste sur les transformations et cycles, clé de l’alchimie.

4 – Les éléments et la croix

La croix représente les quatre éléments (Terre, Eau, Air, Feu) et les quatre directions.
Elle établit le lien entre ciel et terre.

5 – Les signes des planètes

La Monad contient en miniature les sept signes planétaires :
Soleil, Lune, Mercure, ♀ Vénus, ♂ Mars, Jupiter, Saturne.

6 – La division du cercle

Le cercle se divise en parties égales, générant le zodiaque.
C’est la base de l’astrologie sacrée.

7 – Symétrie divine

La construction géométrique de la Monad est parfaite et harmonieuse.
Elle reflète la perfection de l’Ordre divin.

8 – L’homme comme microcosme

L’homme est une image réduite du cosmos.
Ses proportions répondent aux mêmes lois que celles qui régissent les cieux.

9 – Le mystère de Mercure

Mercure (Hermès) est le médiateur, principe de transformation.
Son glyphe est présent dans la Monad : c’est la clé de l’alchimie spirituelle.

10 – Les deux lumières et la Croix

Le Soleil et la Lune sont reliés par la Croix centrale.
C’est l’équilibre des contraires, source de toute vie.

11 – Les angles et la trigonométrie sacrée

Dee montre comment les angles de la Monad correspondent à des rapports géométriques précis, permettant de calculer les proportions célestes.

12 – La lettre Alpha

La Monad commence par Alpha (commencement), et tend vers l’Oméga (achèvement).
Référence biblique et mystique : Dieu comme commencement et fin.

13 – Les opérations alchimiques

Dee suggère que la Monad contient les trois étapes de l’Œuvre :

  • Nigredo (noirceur, dissolution)
  • Albedo (blancheur, purification)
  • Rubedo (rougeur, accomplissement)

14 – Les quatre mondes kabbalistiques

Dee fait allusion à la Kabbale :
Atziluth, Briah, Yetzirah, Assiah.
Les quatre niveaux de la réalité sont contenus dans la croix de la Monad.

15 – La transmutation des métaux

Chaque planète gouverne un métal : or, argent, mercure, cuivre, fer, étain, plomb.
La Monad est la clé de leur transmutation en or philosophique.

16 – Le pouvoir de la lumière

La lumière solaire est le grand agent de l’alchimie.
Elle agit sur les métaux comme sur l’âme humaine.

17 – L’échelle céleste

Dee décrit une ascension progressive de l’esprit, passant par les sphères planétaires, jusqu’à Dieu.

18 – La génération de la vie

Le mariage du Soleil et de la Lune dans la Monad est une image de la fécondité universelle.

19 – La parole secrète

Le signe cache un logos mystique : la Parole divine qui a créé le monde.

20 – L’harmonie mathématique

La Monad n’est pas un simple dessin mais un théorème géométrique vivant.

21 – La clé des mystères

Celui qui médite la Monad peut accéder à la connaissance des causes premières.

22 – Le sceau protecteur

La Monad devient un talisman : elle protège et oriente l’âme.

23 – La révélation progressive

Les mystères se dévoilent à mesure que l’étudiant se purifie et médite.

24 – L’Œuvre accomplie

Le dernier théorème annonce l’achèvement de l’Œuvre : l’union de l’homme avec le divin.
C’est la conjonction parfaite de toutes les forces.

 


 


💡 En résumé :
Le Monas Hieroglyphica n’est pas qu’un livre : c’est un labyrinthe initiatique.
Chaque théorème est une marche vers une compréhension plus profonde de l’univers et de soi-même.
Les lecteurs de Dee devaient méditer chaque passage lentement, en traçant le glyphe et en réfléchissant à ses correspondances.

mercredi 12 novembre 2025

LES CHRONIQUES D'EL'BIB : STOKER & DRACULA, LA FABRIQUE D'UNE LÉGENDE, Adrien Party

 


Après son monumental traité de Vampirologie (Actu SF 2023), Adrien Party persiste et signe avec Bram Stoker & Dracula, la fabrique d’une légende (Actu SF 2025). Un travail d’une érudition époustouflante sur les influences de l’auteur, sur la réception du livre du vivant de Stoker et sur son incroyable descendance. Dracula, comme Sherlock Holmes, Tintin, Bob Morane ou Cthulhu, a complétement échappé à son géniteur et vit désormais de façon autonome dans la littérature, le cinéma, la BD, le jeu de rôle etc…. L’étude est agrémentée de quelques pages d’un « carnet de voyage » où l’auteur nous fait visiter les sites « du pays où Stoker ne s’est jamais rendu ». Mais l’enquête en Roumanie semble avoir été menée au pas de course et l’on reste un peu sur sa faim alors qu’il y a tant de choses à dire sur Brasov, Bran, Sighişoara ou Poenari[1]. Sur le fond, Adrien Party n’insiste guère sur l’ombre d’homosexualité qui flotte autour du père de Dracula, évoquée dans la biographie de Alain Pozzuoli Bram Stoker, dans l’Ombre de Dracula (Pascal Galodé, 2012) et dans l’excellent roman de Joseph O’Connor Le Bal des Ombres (Rivages/Payot 2020). On regrettera également que ne soient pas évoquées des deux préquels/séquels signées par l’arrière petit neveu de l’écrivain, Dacre Stoker, Dracula l’Immortel (avec Ian Holt, Michel Lafon, 2009) et Dracula, les Origines (en compagnie de J.D. Barker, Michel Lafon, 2018). Qu’en est-il des documents soi-disant retrouvés par les chercheurs et donnant une autre couleur à l’œuvre originale, à savoir vouloir à tout prix faire rentrer l’auteur dans sa propre histoire ? Mais la ficelle est tellement grosse qu’il n’était certainement pas nécessaire d’en parler !

Dernière critique, qui ne remet pas en cause l’excellent travail d’Adrien Party : l’iconographie de l’ouvrage (essentiellement des couvertures de livres) est tout simplement atroce. Le papier « cheap » utilisé transforme la plupart des vignettes en de vilaines taches d’encre. Je suggère à l’éditeur de les supprimer en cas de retirage ! Elles n’apportent rien et gâchent le visuel de ce pavé.

 



 

 



[1] Voir par exemple Simon Sanahujas et Gwenn Dubourthoumieu avec A la poursuite de Dracula, pour le compte des Moutons Electriques (2012).

mardi 11 novembre 2025

QUI ÉTAIT LE Dr JOHNSON ?

 


Dr Richard H. Johnson

Docteur en philosophie — Conservateur du Cabot Museum of Archaeology (Boston, MA)

Statut

Personnage issu de Out of the Aeons (1933), nouvelle écrite par H.P. Lovecraft pour Hazel Heald.


Biographie synthétique

  • Nom complet : Richard Henry Johnson
  • Naissance : 1884, Providence (Rhode Island), dans une famille de professeurs et d’antiquaires.
  • Formation :
    • Licence en archéologie comparée à Brown University.
    • Doctorat en philosophie (spécialité : histoire des religions anciennes) — Harvard, 1911.
  • Poste :
    • Nommé conservateur du Cabot Museum of Archaeology à Boston en 1919, après des fouilles en Égypte et en Crète.
  • Décès : officiellement en 1932, circonstances jugées « accidentelles » par l’administration.
    Note interne (non publiée) : plusieurs sources évoquent une mort liée à l’exposition prolongée à un artefact anormal.

Caractéristiques et compétences

  • Grand spécialiste des civilisations pré-classiques et des cultes oubliés.
  • Capacité rare à déchiffrer des écritures mixtes (proto-cunéiforme + idéogrammes inconnus).
  • Plus philosophe qu’archéologue — il voyait les objets comme des porteurs de mémoire, non comme des trésors.

« Tout artefact est un témoin. L’erreur consiste à croire qu’il est inoffensif. »
(Note retrouvée dans son bureau après sa disparition)


Le Cabot Museum of Archaeology

Musée de Boston, décrit comme :

  • institution privée, fondée par des mécènes issus de la famille Cabot (vieille élite de Boston),
  • spécialisée dans les civilisations disparues, les objets atypiques et les “pièces sans origine”.
  •  

Sous la direction du Dr Johnson, le musée devient un lieu d’étrangetés : momies anormales, fragments de tablettes impossibles, objets non identifiés découverts hors de tout contexte.

Il reçoit en 1931 une momie non humaine, trouvée sur un îlot perdu du Pacifique. Johnson est convaincu de son importance métahistorique.


L’affaire de la momie “H.P. 987”

(Dossier interne du musée, scellé après les événements)

  • La momie est accompagnée d’un cylindre métallique dont la matière n’a jamais pu être identifiée.
  • Johnson reconnaît sur l’objet un idéogramme en spirale, similaire à un motif mentionné dans les travaux de Von Juntz (Unaussprechlichen Kulten).
  • Il soumet une traduction partielle, évoquant :

« Celui qui dort au centre du monde, et les témoins de l’aube première. »

À partir de ce moment, Johnson devient obsédé.

Symptômes rapportés :

  • insomnies,
  • crises d’angoisse nocturnes,
  • impression d’être observé par la momie lorsqu’il longe les couloirs du musée.

Plusieurs notes retrouvées dans son journal suggèrent que l’objet serait lié à un être nommé Ghatanothoa.

 



Mort ou disparition ?

Officiellement :

chute dans la cage d’ascenseur du musée (juillet 1932).

Officieusement (rapport interne du musée, non signé) :

« Le corps était momifié. Instantanément. Comme vidé de toute vie. »

Les derniers mots griffonnés sur une fiche d’analyse :

« Ce n’est pas une momie. C’est une prison. »

Après sa mort, les autorités saisissent le cylindre.
Le musée ferme une aile entière, jamais rouverte au public.


 


Liens possibles avec d’autres figures du Mythe

(hypothèses Wilmarth/Université de Miskatonic)

Personnage / institution

Nature du lien

Prof. Albert N. Wilmarth (Folklore, Miskatonic)

Correspondance privée (perdue ?) au sujet des cultes pré-humains.

Golden Goblin Press

Projet d’article refusé sur l’objet H.P. 987.

Fondation Nathaniel Derby Pickman

Demande d’expertise incomplète sur les pigments de la gravure du cylindre.


Analyse du personnage

Richard H. Johnson représente le côté sombre du chercheur : celui qui ouvre trop grand les portes de la connaissance interdite.
Il n’est ni fou, ni inconscient : juste convaincu que tout savoir doit être exploré.

Son arc narratif est typiquement lovecraftien :

la quête du savoir → la révélation → la destruction.