mercredi 21 avril 2021

LES CHRONIQUES D'EL'BIB : LUNE DE METAL, Antoni Dumé

 


Antoni Dumè avait déjà attiré notre attention avec Le Chaos sans Visage (Rivière Blanche 2016) ; il nous livre maintenant, dans la même veine, Lune de Métal (Exaequo 2021). Et quelle veine, celle d’un fantastique d’une absurdité tellement cohérente qu’il vous prend aux tripes et vous force à abandonner vos repères habituels. En lisant ce roman, j’ai retrouvé le petit parfum des thrillers impossibles de Brussolo des années 80.

Nous sommes dans une famille paisible du XVIIIème arrondissement de Paris avec le père (chef d’entreprise), la mère (qui travaille en milieu médical), Luc, jeune ado passionné par les jeux vidéo et Chris, une petite fille bien sage. Et cette belle harmonie va basculer un matin lorsque les parents constatent que Chris a disparu durant la nuit, dans une maison de surcroît fermée à clef de l’intérieur. Le récit va se dérouler selon la technique du « sandwich », alternance de chapitres courts entre notre monde et celui de Chris. La cadette a en effet changé d’univers et se trouve prisonnière d’un jeu vidéo, « Thalès », regroupée avec beaucoup d’autres enfants sous un chapiteau et livrés à la cruauté de monstres, les occisors. Les joueurs, dans notre monde, par le biais de consoles PS 5 trafiquées, gagnent (ou perdent) des points de vie qu’ils peuvent convertir en monnaie sonnante et trébuchante. Luc est un de ces joueurs et, sous la forme d’un occisor, s’apprête à étriper une petite fille qui n’est autre que sa sœur. Ahuri, il laisse tomber sa manette, mettant fin à la partie. La police est évidemment mise dans le coup, d’autant plus que les disparitions mystérieuses d’enfants se multiplient. L’enquête sera laborieuse compte-tenu de l’invraisemblance du contexte. Un suspect sera cependant repéré dans les milieux « geeks », sorte de « Passeur » entre les deux mondes. Et cette piste conduira chez un vieil aristocrate lorrain, dont le fils a disparu et dont le père s’adonnait aux sciences occultes. Cerise sur le gâteau, ces deux personnes se ressemblent étrangement et correspondent au profil du « Passeur » dont il a pu être établi un portrait-robot.

Je ne spolierai pas la chute, sinon pour dire que la Lune Noire, vaisseau des occisors, fera irruption dans le ciel de Paris, semant une jolie panique. Je spoilerai d’autant moins que cette chute est ouverte et que Antoni Dumè laisse le lecteur sur sa faim, lequel continuera à s’interroger sans trouver la réponse à l’équation infernale : « rêve ou réalité ? ». Bien joué, on attend la suite d’autant que la plume est agréable et que l’on sent poindre la naissance d’une belle signature du fantastique français contemporain.

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mardi 20 avril 2021

LA TERREUR ET LE SACRÉ, Lauric Guillaud

 

Réédition revue et complétée chez Michel Houdiard d'un excellent livre de Lauric Guillaud : la nuit gothique américaine de C.B. Brown à H.P. Lovecraft.

O.V.N.I en Méditerranée, Thierry Gaulin


 

Vient de sortir aux Éditions de l'OEIL DU SPHINX. Disponible sur Amazon et bientôt dans la boutique en ligne de l'ODS.

mardi 6 avril 2021

LES CHRONIQUES D'EL'BIB : LE PEUPLE BLANC, Arthur Machen

 


Bob Price nous propose ensuite une autre nouvelle culte de Machen, Le Peuple Blanc, écrite du reste avant la précédente (Le Grand Dieu Pan, 1890). Un récit envoûtant qui prend la forme du journal d’une petite fille qui vit au milieu de la forêt avec son père (un avocat très occupé) et sa gouvernante. Celle-ci, très au fait des coutumes et légendes de la région, lui raconte des histoires à la fois merveilleuses et terrifiantes sur le petit peuple qui hante les bois et sur les cérémonies secrètes qui s’y déroulent. L’enfant explorera dans les moindres détails la contrée environnante, le Pays de Voor, ce qui nous vaut des descriptions sublimes qui ne sont pas sans évoquer Le Domaine d’Arnheim que Poe avait publié en 1847. Elle découvrira, au fil de ses contacts avec les esprits des lieux, de nouvelles langues, comme la langue Chian ou les lettres Aklo ; elle refusera de nous en dire plus sur les Nymphes, les Dôles, ou sur Jeelo ou les Voolas.; elle contemplera les grands beaux Cercles et participera aux jeux Mao. Son journal se terminera par un cri d’émerveillement « j’ai vu les nymphes, je les ai appelées et Alanna, la nymphe de l’obscurité est venue ». La gouvernante disparaîtra et on retrouvera la petite fille empoisonnée, gisant près d’un objet à moitié enfoui : une magnifique et lumineuse statue d’un Dieu romain. A l’instar de Mary dans Le Grand Dieu Pan, elle a vu l’indicible.

Nouvelle exploration du Mal Absolu, ce texte est également très intéressant par ses créations imaginaires, notamment linguistiques. A l’instar de Lovecraft avec son Necronomicon, Machen suggère sans donner de contenu précis, technique bien connue pour étoffer l’aspect mystérieux de son invention. Les lettres AKLO connaîtront du reste une belle postérité : L'Aklo a été appris par Wilbur Whateley (HPL: The Dunwich Horror) et utilisé par Alonzo Typer (HPL: Le Journal d'Alonzo Typer). Il apparaît également comme un élément clé de l'œuvre sur le Mythe de Cthulhu d'Alan Moore, The Courtyard. D’autres y verront une étrange consanguinité avec le langage énochien du Dr John Dee.

Pour les « complétistes », on signalera que Daniel Harms consacre une entrée à l’Aklo dans son Encyclopedia Cthulhiana (1998) : « Langage qui était originellement celui des Hommes-Serpents de Valusie[1]. Il est encore utilisé sous une forme modifiée par les prêtres au service des Grands Anciens ainsi que par le Petit Peuple du Pays de Galles. Le terme « Aklo » peut aussi se référer à une série de rituels magiques ou désigner un moment précis où une incantation peut être prononcée… » Enfin on ne peut pas conclure sans signaler le site  https://app.memrise.com/course/92726/aklo-building-upon-rlyehian/ qui propose un cours par correspondance sur l’aklo (et le rlyehian) ! Et c’est gratuit…



[1] Une création de Robert E. Howard.

dimanche 4 avril 2021

LES CHRONIQUES D'EL'BIB : LE GRAND DIEU PAN, Arthur Machen

 

 


 

Robert M. Price, l’anthologiste, ouvre le recueil (le Cycle de Dunwich, (Oriflam/Nocturnes 1999) en fanfare avec Le Grand Dieu Pan du Gallois Arthur Machen (1894) qu’il considère, à l’instar beaucoup d’autres auteurs, comme l’une des sources de Lovecraft pour sa nouvelle sur Dunwich. Et de fait le Prince Noir de Providence consacrera à Machen et à ce texte une large entrée dans Épouvante et Surnaturel en Littérature : Personne n’est capable d’écrire avec une telle accumulation de suspense, utilisant jusqu’à l’horreur finale, une telle richesse de vocabulaire, de détail amenant toujours avec la précision la plus précise et la progression la plus ferme, les rebondissements et les révélations les plus nécessaires.

L’histoire commence par une intervention chirurgicale, pratiquée par un savant fou sur une petite fille, Mary, pour lui permettre de voir au-delà de la réalité. Après un éclair d’extase, Mary sombre dans la folie et, enceinte, décéder lors de son accouchement.

Puis une jeune fille, Helen Vaughan, placée par des parents inconnus chez de braves fermiers, terrorisera ses camarades de jeu lors de promenades en forêt. Ses expéditions bizarres feront une victime.

Enfin, une charmante jeune femme, Mrs Beaumont, défie la chronique londonienne par ses parties fines durant lesquels sont pratiqués d’infâmes rituels. Plusieurs des invités sombreront dans la folie après « ces séances ». Si l’horreur est instillée par petites touches tout le long du récit, le final – la mise à mort de Mrs de Beaumont par des enquêteurs avertis - est tout à fait à la mesure d’une chute lovecratienne : la victime subit des transformations monstrueuses avant de se répandre en un liquide putride. On l’aura deviné, Mrs Beaumont est Helen, laquelle était la fille de Mary qui avait copulé avec le Grand Dieu Pan. On ouvre ici la série des accouplements monstrueux dont Lovecraft fera son miel à Dunwich.

Deux commentaires :

° L’ouverture du troisième œil et l’élargissement de la conscience vont devenir des thèmes récurrents de la fiction, plus ou moins assis sur des recherches chirurgicales ou l’utilisation de psychotropes. Ce sera par exemple le « fil rouge » de l’essentiel de l’œuvre de l’écrivain anglais, Colin Wilson. Ce fut aussi un sujet largement évoqué dans la revue culte des sixties, Planète.

° L’une des grandes forces de l’écrivain gallois est de façon percutante d’évoquer le Mal Absolu : Le péché́ réside pour moi dans la volonté́ de pénétrer de manière interdite dans une sphère autre et plus haute. Vous devez donc comprendre pourquoi il est si rare. Peu d’hommes, en vérité́, désirent pénétrer dans d’autres sphères, qu’elles soient hautes ou basses, de façon permise ou défendue. Il y a peu de saints. Et les pécheurs, au sens où je l’entends, sont encore plus rares. Et les hommes de génie (qui participent parfois des deux) sont rares, eux aussi... Mais il est peut-être plus difficile de devenir un grand pécheur qu’un grand saint.


samedi 3 avril 2021

LES CHRONIQUES D'EL'BIB : CEUX DES PROFONDEURS, Fritz Leiber

 


 

Merci à Mnémos de ressusciter (2019) cette petite perle de Fritz Leiber, Ceux des Profondeurs, un peu oubliée depuis sa première version française chez Phénix/Pégase en 1987. Ce texte de 1976 montre, s’il en était besoin, toute l’admiration du citoyen de Lankhmar pour notre auteur. Au point de nous donner une véritable œuvre « intertextuelle » (comme disent les universitaires), se glissant dans l’œuvre de Lovecraft pour y puiser tous les éléments de son récit (personnages, créatures, livres etc..) en les remixant astucieusement. Ce qui a pour effet de donner aux créations du Maître de Providence une impression de réalité troublante. Ce procédé sera régulièrement repris par la suite et produira de petits chefs d’œuvre comme Providence d’Alan Moore.

Leiber nous retrace la vie de Georg Reuter Fisher, jeune californien handicapé qui mène une existence de reclus, entre une mère possessive et un père artiste victime d’étranges visions. Des visions qui évoquent des souterrains et des monstruosités rampantes que ne tardera pas à partager son fils. Le père disparaît lors d’une chute mortelle dans un gouffre et Georg part pour Arkham afin de faire ses classes à l’université de Miskatonic. Mais sa mauvaise santé et notamment ses effondrements nerveux l’empêcheront de poursuivre son cursus et il rentrera au pays. Il avait acheté à la librairie de l’université Azathoth et autres horreurs d’un certain Edward Pickman Derby, ouvrage qui lui donnera le goût de la poésie et l’amènera à publier – à compte d’auteur- son propre recueil, Le Tunnelier d’en-bas. Il en envoie un exemplaire à l’un de ses anciens condisciples, Albert Wilmarth, qui le remercie avec enthousiasme : ses visions s’inscrivent en effet parfaitement dans le programme de recherches sur « l’inconscient collectif manifesté dans les rêves » mené par l’université avec les professeurs Armitage, Peaslee, Morgan… Le jeune reclus accepte bien volontiers de participer aux travaux et invite Wilmarth pour lui faire visiter sa région truffée de souterrains… et de serpents. On devine aisément la suite de l’histoire dont le point final se situera en mars 1937, lorsque Wilmarth apprendra la mort de Lovecraft