Antoni Dumè avait déjà attiré notre attention avec Le Chaos sans Visage (Rivière Blanche 2016) ; il nous livre maintenant, dans la même veine, Lune de Métal (Exaequo 2021). Et quelle veine, celle d’un fantastique d’une absurdité tellement cohérente qu’il vous prend aux tripes et vous force à abandonner vos repères habituels. En lisant ce roman, j’ai retrouvé le petit parfum des thrillers impossibles de Brussolo des années 80.
Nous sommes dans une famille paisible du XVIIIème arrondissement de Paris avec le père (chef d’entreprise), la mère (qui travaille en milieu médical), Luc, jeune ado passionné par les jeux vidéo et Chris, une petite fille bien sage. Et cette belle harmonie va basculer un matin lorsque les parents constatent que Chris a disparu durant la nuit, dans une maison de surcroît fermée à clef de l’intérieur. Le récit va se dérouler selon la technique du « sandwich », alternance de chapitres courts entre notre monde et celui de Chris. La cadette a en effet changé d’univers et se trouve prisonnière d’un jeu vidéo, « Thalès », regroupée avec beaucoup d’autres enfants sous un chapiteau et livrés à la cruauté de monstres, les occisors. Les joueurs, dans notre monde, par le biais de consoles PS 5 trafiquées, gagnent (ou perdent) des points de vie qu’ils peuvent convertir en monnaie sonnante et trébuchante. Luc est un de ces joueurs et, sous la forme d’un occisor, s’apprête à étriper une petite fille qui n’est autre que sa sœur. Ahuri, il laisse tomber sa manette, mettant fin à la partie. La police est évidemment mise dans le coup, d’autant plus que les disparitions mystérieuses d’enfants se multiplient. L’enquête sera laborieuse compte-tenu de l’invraisemblance du contexte. Un suspect sera cependant repéré dans les milieux « geeks », sorte de « Passeur » entre les deux mondes. Et cette piste conduira chez un vieil aristocrate lorrain, dont le fils a disparu et dont le père s’adonnait aux sciences occultes. Cerise sur le gâteau, ces deux personnes se ressemblent étrangement et correspondent au profil du « Passeur » dont il a pu être établi un portrait-robot.
Je ne spolierai pas la chute, sinon pour dire que la Lune Noire, vaisseau des occisors, fera irruption dans le ciel de Paris, semant une jolie panique. Je spoilerai d’autant moins que cette chute est ouverte et que Antoni Dumè laisse le lecteur sur sa faim, lequel continuera à s’interroger sans trouver la réponse à l’équation infernale : « rêve ou réalité ? ». Bien joué, on attend la suite d’autant que la plume est agréable et que l’on sent poindre la naissance d’une belle signature du fantastique français contemporain.
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