vendredi 19 août 2016

LES CHRONIQUES D'EL'BIB : LE RÔDEUR DEVANT LE SEUIL, Lovecraft & Derleth






Le Rôdeur devant le Seuil (Lovecraft & Derleth, 1945, The Lurker at the Thresold, Arkham House, 1945, version française Christian Bourgois, 1971). Ce roman aurait été écrit selon des notes laissées par Lovecraft. Selon Joshi, sur les 50.000 mots du texte, 1.200 sont de la plume de l’écrivain. On y reviendra.

Il s’agit d’un roman qui s’inscrit dans les canons purs et durs du Mythe version Derleth. Nous sommes dans la Nouvelle-Angleterre, entre Arkham et Dunwich, dans la maison de famille des Billington, entourée de sombres légendes. L’un des descendants de cette famille, Ambrose Dewart, décide de rénover la demeure et de s’y installer. Elle est située dans un grand parc dans lequel se trouvent une tour et un cercle de pierres levées. Il fait bien évidemment des recherches dans la bibliothèque de son grand père Alijah qui y vivait avec un indien et son fils Laban. Grâce aux notes laissées par ce dernier, il découvre que les deux adultes se livraient la nuit à de curieuses invocations. Il retrouve plusieurs coupures de presse faisant état de disparitions mystérieuses dans la région, les cadavres des malheureux étant retrouvés horriblement mutilés. Il étudie également les livres maudits de la bibliothèque faisant état de redoutables entités non-humaines et des techniques pour les invoquer.
Perturbé, il demandera à son cousin Stephen Bates de Boston de venir passer quelques temps avec lui. Il lui fait part de ses découvertes, mais il subira progressivement une modification de personnalité. Bates le surveillera discrètement et le surprendra la nuit, au haut de la tour, en train d’appeler des créatures infernales. De nouvelles disparitions se produisent. Bates ira consulter deux experts à l’Université de Miskatonic, le Dr Seneca Lapham et Winfield Phillips. Ceux-ci mèneront une enquête sur le terrain. Bates a disparu et Ambrose Dewart, dont le sorcier Richard Billington avait pris, sera vaincu grâce aux talismans apportés par les deux érudits.
Un récit archi-classique, on pourrait presque dire « téléphoné », qui aurait mérité d’être ramassé en nouvelle plutôt que de se trainer péniblement en roman. On y remarque les premières traces de la structuration du panthéon lovecraftien par Derleth, à savoir entre les gentils (les Anciens Dieux) et les méchants (les Grands Anciens). Petite curiosité, on y assiste, du chef des deux universitaires, à un petit cours un petit cours de fortéanisme (Charles Fort est nommément cité), sur le thème « rien n’est impossible, la preuve … »

Les livres :

Toute la bibliothèque maudite est évidemment sollicitée, dont le Necronomicon largement cité (cf infra). Deux autres créations lovecrafiennes font leur apparition :
° Of Evill Sorceries Done in New-England of Daemons in no Humane Shape; English. Derleth a modifié la date originale de publication de ce livre (1788 au lieu de 1684 pour Lovecraft). Ce manuscript retrace les activités occultes de Richard Billington et notamment ses invocations de Ossadagowah.
° Thaumaturgical Prodigies in the New-England Canaan du Révérant Ward Phillips (1788) de la Baptist Church d’Arkham. Un ouvrage qui analyse également les activités occultes de Richard Billington et qui sera violemment critique par son fils Alijah.
This book was written in 1788 by the Reverend Ward Phillips of the Baptist Church of Arkham, Massachusetts. The treatise describes the blasphemous activities of witches, warlocks, Indian shamans, and other evil-doers in colonial New England. Terrible magicks, monstrous births, and dire Indian legends are all described. Phillips pays particular attention to the events that supposedly took place in and around Billington’s Woods, near Arkham, in the late 17th century.
Une seconde version complétée a été publiée à Boston en 1801.Une version annotée par le Révérant est détenue par un homme d’affaires de Providence, un de ses descendants, Wipple Phillips.


Pour les puristes, cet ouvrage contient de nombreuses citations du Necronomicon :

Il ne faut point croire que l'homme est le plus vieux ou le dernier des maîtres de la terre, ou que la masse commune de vie ou de substance soit seule à y marcher. Les Anciens ont été, les Anciens sont, et les Anciens seront. Non dans les espaces que nous connaissons, mais entre eux. Ils vont sereins et primordiaux, sans dimensions et invisibles à nos yeux. Yog-Sothoth connaît la porte. Yog-Sothoth est la porte. Yog-Sothoth est la clé et le gardien de la porte. Le passé, le présent, le futur, tous sont un en Yog-Sothoth. Il sait où les Anciens ont forcé le passage jadis, et où Ils le forceront de nouveau. Il sait où Ils ont foulé les champs et la terre, et où Ils les foulent encore, et pourquoi nul ne peut les voir quand Ils le font. A leur odeur, les hommes peuvent parfois connaître qu'Ils sont proches, mais de leur apparence aucun homme ne peut rien savoir, si ce n'est sous les traits de ceux qu'Ils ont engendrés chez les hommes ; et de ceux-ci sont plusieurs espèces, différentes par leur figure, depuis la plus véridique eidolon de l'homme à cette forme invisible et sans substance qui est Eux. Ils passent, nauséabonds et inaperçus dans les lieux solitaires où les Paroles ont été prononcées et les Rites ont été hurlés tout au long en leurs Temps. Leurs voix jargonnent dans le vent, et Leur conscience marmonne dans la terre. Ils courbent la forêt et écrasent la ville, pourtant ni forêt ni ville ne peuvent apercevoir la main qui frappe. Kadath Les a connus dans le désert glacé, et quel homme connaît Kadath ? Le désert de glace du Sud et les îles englouties de l'Océan renferment des pierres où Leur sceau est gravé, mais qui a jamais vu la ville au fond des glaces et la tour scellée festonnée d'algues et de bernacles ? Le Grand Cthulhu est Leur cousin, encore ne les discerne-t-il qu'obscurément. Ïa ! Shub-Niggurath ! Vous les connaîtrez comme une abomination. Leur main est sur votre gorge, bien que vous ne Les voyiez pas ; et Leur demeure ne fait qu'un avec votre seuil bien gardé. Yog-Sothoth est la clé de la porte, par où les sphères communiquent. L'homme règne à présent où ils régnaient jadis ; Ils régneront bientôt où l'homme règne à présent. Après l'été l'hiver, et après l'hiver l'été. Ils attendent, patients et terribles, car Ils régneront de nouveau ici-bas.
Necronomicon, page 751 de l'édition espagnole de la traduction latine

Il se passa donc comme cela avait été dit jadis ; Il fut emporté par Ceux Qu'Il Avait Bravés et plongé au plus Profond des Profondeurs de la Mer, et placé à l'intérieur de la Tour aux anatifes qu'on dit s'élever parmi les grandes ruines qui sont la Cité Engloutie (R'lyeh), et enfermé dedans par le Signe des Anciens et, dans sa Fureur contre Ceux qui L'avaient Emprisonné, Il continua de S'attirer Leur Courroux, et Eux, S'abattant sur Lui pour la seconde fois, Lui imposèrent l'apparence de la Mort, mais Le laissèrent rêver à cette place sous les eaux immenses, et retournèrent dans ce lieu d'où Ils étaient venus qui a pour Nom Glyn-Vho, et se trouve parmi les étoiles ; et Ils observent la Terre du moment où les feuilles tombent à celui où le paysan retourne une fois encore à ses champs. Et c'est là qu'Il reposera, à jamais rêvant, dans sa demeure de R'lyeh vers laquelle à ce moment tous Ses favoris nagent et se démènent contre toutes sortes d'obstacles et se disposent pour attendre Son réveil, impuissant à toucher le Signe des Anciens car ils craignent Son grand pouvoir et savent que le Cycle doit revenir et Il sera libéré pour étreindre la Terre encore et en faire Son Royaume et braver les Anciens Dieux de nouveau. Or, à Ses Frères il advint de même qu'Ils furent emportés et jetés en bannissement par Ceux Qu'Ils Avaient Bravés, Lui Qu'On Ne Doit Pas Nommer étant envoyé dans l'espace Extérieur, au-delà des Etoiles, et avec les autres pareillement, jusqu'à ce que la Terre fût libérée d'Eux et que Ceux Qui Etaient Venus en la forme de Tours de Feu soit retournés d'où Ils provenaient, et qu'on ne Les vît plus, et que sur toute la Terre la paix vînt alors et subsistât tandis que Leurs favoris se rassemblaient et cherchaient les voies et les manières de libérer les Anciens et attendaient alors que l'homme vînt prier en des lieux secrets et maudits pour ouvrir le Portail.
Al-Azif, Le Livre de l'Arabe (XVIe siècle)


Il est écrit au sujet des Anciens, Ils attendent toujours au Portail et le Portail est partout de tout temps, car ils ne connaissent pas le temps ni l'espace mais sont en tous temps et tous lieux à la fois sans paraître, et il y a ceux parmi Eux qui peuvent prendre Formes et Traits variés et n'importe quels Forme et Visage, et les Portails sont pour moi, Savoir à Irem, la Cité des Colonnes, la ville sous le désert, mais là où des hommes érigent les Pierres et profèrent par trois fois les Paroles maudites, ils auront établi un Portail et devront sortir Ceux Qui Traversent le Portail, les Dhols et l'Abominable Mi-Go, et le peuple Tcho-Tcho, et les Ténébreux, et les Gugs et les Décharnés de la Nuit et les Shoggoth, et les Voormi, et les Shantaks qui gardent Kadath dans la Lande Froide et le Plateau de Leng. Ils sont tous les Rejetons des Anciens Dieux, mais la Grande Race de Yith et les Grands Anciens ne pouvant s'accorder ensemble et avec les Anciens Dieux, se séparèrent, laissant les Grands Anciens maîtres de la Terre, tandis que la Grande Race, revenant de Yith, élut comme Demeure Temporelle le Pays de Terre encore ignoré de ceux qui foulent aujourd'hui la Planète, et attendent ici que viennent à nouveau les vents et les Voix qui Les portaient en avant autrefois et Cela qui Marche sur les Vents par-dessus la Terre et les Espaces qui à jamais s'étendent parmi les Astres.
Al-Azif, Le Livre de l'Arabe (XVIe siècle)

Ubbo-Sathla est cette source inoubliée d'où vinrent ceux qui osèrent s'opposer aux Anciens Dieux qui régnaient depuis Bételgeuse, les Grands Anciens qui combattirent les Anciens Dieux ; et ces Grands Anciens étaient instruits par Azathoth, le dieu aveugle et idiot, et par Yog-Sothoth qui est Tout-En-Un et Un-En-Tout et pour qui les limites du temps et de l'espace n'existent pas et dont les aspects sur terre sont 'Umr-At-Tawil et les Anciens. Les Grands Anciens rêvent depuis toujours de ce temps à venir quand ils régneront à nouveau sur la Terre et sur tout cet Univers dont elle fait partie... Le Grand Cthulhu se lèvera de R'lyeh ; Hastur, Celui Qu'On Ne Doit Pas Nommer, reviendra de la sombre étoile qui est proche d'Aldébaran dans les Hyades ; Nyarlathotep mugira à jamais dans l'obscurité qui est son domaine ; Shub-Niggurath, le Bouc Noir aux Mille Chevreaux se multipliera encore et encore et recevra soumission de tous les satyres, nymphes et lutins des bois ainsi que du Petit Peuple ; Lloigor, Zhar et Ithaqua chevaucheront les espaces parmi les étoiles et ennobliront ceux qui les servent, les Tcho-Tcho ; Cthugha exercera son pouvoir sur Fomalhaut : Tsathoggua viendra de N'kai... Ils attendent depuis toujours aux Portails, car le temps se rapproche, l'heure est bientôt venue, tandis que les Anciens Dieux reposent, rêvant, ignorant qu'il y a ceux qui connaissent les envoûtements qui ont servi aux Anciens Dieux contre les Grands Anciens, et apprendront comment les rompre, alors que déjà ils savent ordonner aux servants qui attendent au-delà des portes du Dehors.
Necronomicon (extrait)


Bouclier contre Sorcières et Daemons, contre les Etres des Profondeurs, les Dools, les Voormais, les Tacho-Tacho, les Mi-Go, les Shoggaoths, les Fantômes, les Valusiens et tous Peuples et Etres qui servent les Grands Anciens et les Rejetons d'Iceux, sera trouvé dans l'Etoile à Cinq Branches gravée de Pierre grise de l'antique Mnar ; qui est moins solide contre les Grands Anciens Eux-mêmes. Le Possesseur de la Pierre se trouvera capable de commander à tous les Etres qui rampent, nagent, grouillent, marchent ou volent même à la Source sans retour. A Yhe comme à R'lyeh la Grande, à Y'hanthei comme à Yoth, à Yuggoth comme en Zothique, à N'kai comme à Naa-Hk et K'nyan, à Carcosa comme à G'harne, dans les Villes jumelles d'Ib et Lh-yib, à Kadath dans le Désert Froid comme au Lac de Hali, il détiendra le Pouvoir ; cependant, comme les Etoiles pâlissent et refroidissent, comme les Soleils meurent et que les Espaces entre les Etoiles s'élargissent, ainsi décroît le Pouvoir de toutes choses, de l'Etoile-Pierre à Cinq Branches comme des Sorts jetés aux Grands Anciens par les Anciens Dieux bienveillants, et ce Temps viendra comme il y eut jadis un Temps, où il sera dit :

N'est pas mort ce qui peut éternellement demeurer, et en d'étranges Eres même la Mort peut mourir.

Notes inédites de Feery sur le Necronomicon (traduction libre d'un passage de la version latine)


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