Avec
Patience, Patience (C.J Henderson, Patience Waiting in The Cthulhu Cycle, 1996), le Mythe rebondit de façon tout à fait
originale. Ce n’est pas un pastiche, mais un texte qui se trouve à la croisée
des chemins entre la collaboration posthume et la rédaction d’une version
alternative de L’Appel de Cthulhu. Le
héros est notre cher Inspecteur Legrasse qui, après les événements de 1907 en
Louisiane relatés par Lovecraft, reçoit la visite du Pr Webb, éminent
archéologue. Le policier l’avait rencontré à la Société Américaine
d’Archéologie en 1908 alors qu’il enquêtait sur sa découverte. La statuette
« poulpeuse » exhibée par l’enquêteur lors de la réunion avait
rappelé au savant certaines gravures relevées au Groenland, laissant supposer
l’existence de cultes secrets et l’avait conduit à venir enquêter sur les lieux
de l’affaire.
Une
fois dans le bureau du policier, Webb peut à nouveau examiner en détail d’objet
pris sur le monolithe de l’île enfouie dans les bayous, lors de la grande
opération de « nettoyage » des cultistes menée par les forces de
l’ordre. Henderson reprend ici quasiment mot pour mot la description de
Lovecraft :
Elle représentait un monstre d'apparence
vaguement humaine, mais dont la tête ressemblait à une pieuvre. Le visage
n'était qu'un amas de tentacules, le corps caoutchouteux et tout couvert
d'écailles. Des griffes terrifiantes émergeaient des quatre membres et de
longues ailes minces s'ouvraient dans le dos. La créature semblait émaner une
malveillance aussi terrifiante que surnaturelle ; son corps boursoufflé était
accroupi sur un bloc de pierre ou un piédestal, recouvert de signes illisibles.
Le bout des ailes touchait la base de la colonne, le corps en occupait le
centre, tandis que les longues griffes recourbées des pattes antérieures
agrippaient le bord et se refermaient au quart de sa hauteur. La tête de
pieuvre était penchée en avant, ce qui fait que le bout des tentacules
effleurait les pattes qui enserraient les genoux. L'ensemble paraissait
bizarrement vivant, et d'autant plus malsain qu'on ne pouvait déterminer ce qui
pouvait avoir servi de modèle à cette sculpture. Elle était de toute évidence
extrêmement ancienne ; cependant, il était impossible de la relier à une
civilisation archaïque quelconque, ou à toute autre époque d'ailleurs. Qui plus
est, le matériau dont elle était fabriquée constituait un mystère à lui tout
seul ; cette pierre huileuse, d'un vert sombre constellé d'éclats dorés et de
rainures ne ressemblait à rien de connu des géologues.
Legrasse
explique que tous les cultistes n’ont pas été décimés et que les survivants
sont à l’hôpital psychiatrique, où ils psalmodient : Ph'nglui mglw'nafh Cthulhu R'lyeh wgah'nagl fhtagn, ce qui
signifie, ainsi que l’avait expliqué au policier un indigène : Dans son domaine de R'lyeh, le défunt
Cthulhu attend en rêvant. Il replace cette invocation dans son contexte
« théologique » pour le savant, reprenant là encore pratiquement le
texte de Lovecraft dans sa primo-nouvelle : Ils adoraient, disaient-ils, les Grands Anciens, qui avaient vécu des
éons avant l'Homme. Ils étaient venus du ciel, quand le monde était encore
jeune. Ces Grands Anciens s'étaient retirés dans les entrailles de la terre ou
au plus profond des océans ; mais leurs cadavres avaient révélé leurs secrets à
travers les rêves des premiers hommes qui avaient fondé une secte qui perdurait
encore… Le cœur de la secte se trouvait dans les déserts inexplorés d'Arabie,
au sein d'Irem la Cité des Piliers, Celle-qui-Songe, l'Intouchée. Cette
religion n'avait aucun lien avec le culte des sorcières européen et, hormis ses
fidèles, nul ne le connaissait.
Et
de décider de retourner sur les lieux.
L’équipée
dans les bayous les mène bien sûr sur l’île au monolithe où le Pr Webb ne sait
plus où donner de la tête, fasciné par les hiéroglyphes qui figurent sur la
pierre. Ils remarquent dans la broussaille en face de l’île une surface plane
en forme de cercle, la végétation étant mystérieusement tressée pour former un
tapis consistant. Le savant explique que cela ressemble à un crop-circle,
figures géométriques que l’on trouve sur les lieux d’apparitions d’ovnis. De
retour en ville, les deux compères et deux assistants policiers essayent de se
réconforter à coup de bouteilles de liquide ambré dans un bistrot
glauque ; le Pr Webb semble perdre les pédales et explique que, d’après
son décryptage, la grande invocation aura lieu cette nuit. Legrasse mobilise
toutes les forces de police disponibles, fait le plein d’explosifs et demande à
un destroyer de se mettre en veille à proximité des marais. Les cultistes
invoqueront l’horreur sur l’îlot, sorte d’immense nuage blanchâtre doté de
tentacules qui se précipite sur les intervenants. La suite et la fin seront
rythmés par le son des canonnières qui feront fuir les monstres.
Legrasse
refusera toute récompense officielle pour son courage, et décidera de quitter
la police pour se livrer à un combat sans merci contre les Grands Anciens
disséminés sur la planète.
A
noter que Henderson a réuni ses nouvelles sur ce thème dans Tales of Inspector Legrasse, 2005.
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