On a frôlé le drame ce jour-là sur les pentes du pic Bugarach, seul lieu de la planète qui échappera aux tourments du 21 décembre, si l’on croit les prêcheurs de l’apocalypse. Deux gendarmes de la brigade de Couiza, sur la foi de renseignements probablement donnés par de bûcherons, s’approchent du campement, ignorant que les adeptes ont piégé les abords.
Soudain, l’un d’entre-eux accroche un fil nylon invisible et déclenche la mise à feu d’un chapelet de grenades d’exercice. Terrorisés par les détonations, couverts de plâtre, les militaires dégainent. Persuadés qu’ils sont attaqués, les adeptes se précipitent sur leurs armes. Le temps de quelques longues secondes, tout le monde braque tout le monde.
"Nous montions des gardes armées autour du camp" (Irène, ancienne adepte)
"Nous étions tous tendus, se souvient Irène. Le gourou nous rabâchait qu’il fallait que nous soyons prêts à tout. Qu’il y avait des bandes armées prêtes à fondre sur nous. Nous montions des gardes en permanence autour du campement. On se relayait chaque trois heures, de jour comme de nuit. J’ai donc dû apprendre à tirer."
Le lendemain, les hommes sont convoqués à la brigade, obligés d’amener les fusils. Ils reviendront avec. "Aujourd’hui encore, je me demande pourquoi ils n’ont pas été saisis ce jour-là ?", s’interroge-t-elle.
Irène a fréquenté le campement installé sur les hauteurs de Camps-sur-Agly, pendant 18 ans : "J’y venais dès que mon emploi me le permettait mais il y avait en permanence quatre personnes sur les lieux. J’expliquais à mes collègues de travail que je participais à des fouilles archéologiques."
Sous l'emprise d'un gourou : "Il a tout de suite détecté mes failles"
Drôles de fouilles en réalité. Quand elle débarque sur ce site, à une heure de marche de la route la plus proche, Irène est, depuis huit ans, sous l’emprise du gourou. Elle l’a rencontré dans une librairie ésotérique de Nice à l’âge de 20 ans. Irène est alors une fille fragile : "Il a tout de suite détecté mes failles."
Il la convainc de le rejoindre à Montpellier, puis dans la base de repli sur le Larzac. Elle l’accompagne enfin à Bugarach. "Il affirmait dialoguer avec celui qu’il appelait “Le Père”. Il lui avait révélé où les Cathares avaient enfoui leur trésor et les Templiers, l’Arche d’Alliance. C’est cet endroit que nous devions investir pour nous préparer à l’ère nouvelle."
Le groupe creuse, creuse et creuse encore : quatre puits profonds d’une vingtaine de mètres où l’on descend en rappel et des galeries qui parfois se connectent avec un réseau de grottes. "On y allait à la pioche, à la barre à mine, à l’explosif. Un jour, l’un d’entre-nous a même été grièvement blessé à la main. Il a cru que la mèche avait fait long feu. Il est retourné et tout a pété", se souvient Irène.
En 1998, du jour au lendemain, le campement est abandonné
Dans ce bout du monde haut perché où il faut crapahuter longtemps pour aller puiser l’eau dans l’Agly, l’ambiance est celle d’un groupuscule en résistance pour sa survie ("Nous étions vêtus de treillis") et baignant dans le mysticisme.
Comme d’autres adeptes, Irène est chargée de pourvoir aux besoins du groupe sur ses propres deniers : "Je montais des provisions, j’achetais des outils. C’est avec notre argent, jamais le sien, qu’on s’est équipé d’un treuil électrique et d’un groupe électrogène, d’une foreuse pour placer les bâtons de dynamite..." Irène ne l’avoue pas mais elle a également acheté des pièces d’or chez un numismate montpelliérain parce que, quand viendra l’"ère nouvelle", les monnaies, bien sûr, n’auront plus cours.
En 1998, du jour au lendemain, le campement est abandonné. Le groupe se replie dans sa base arrière sur le Larzac. Irène n’est pas là et le gourou ne lui donnera jamais la moindre explication logique : "Il nous a simplement dit que “Le Père” lui avait enjoint de partir." Ils ont donc quitté les lieux, définitivement et précipitamment, laissant derrière eux la cabane, le four à pain, les outils, un stock de provisions et des tonnes de remblais sortis pour rien des entrailles de Bugarach.
« Je me suis révoltée pour les autres »
Comment Irène a-t-elle finalement échappé au groupe en 2003 ?
"J’allais avoir 50 ans, explique-t-elle, j’ai voulu faire le bilan de ma
vie. Au fond de moi, j’avais fini par accepter que je m’étais fait
avoir." Peu à peu, elle prend conscience que le gourou les manipule :
"Il nous divisait. Un jour, on était son favori et le lendemain, sans
explication, on tombait en disgrâce. J’ai tout lâché quand j’ai
découvert un secret vieux de 12 ans. L’une de nous lui avait donné une
grande propriété qui venait de ses parents. Il la tenait en lui faisant
croire qu’elle était malade et que lui seul pouvait la sauver. Je l’ai
convaincue de partir. La honte empêche de se révolter pour soi-même.
Quand on se révolte, c’est pour les autres."
JUSTICE - Non lieu et sursis
Le 16 août 2004, une adepte en rupture avec le groupe qu’elle a quitté
en même temps qu’Irène, se rend dans une mairie du Larzac. Elle affirme
que des armes ont été stockées illégalement chez elle et qu’elle a été
victime de manipulations mentales. Dans les semaines qui suivent, Irène
et deux autres personnes portent plainte à leur tour pour abus de
faiblesse.Les armes seront effectivement retrouvées : 81 au total (fusils, carabines, pistolets-mitrailleurs...) ainsi que 2 000 munitions. Il y a également des pièces d’or. Le gourou sera mis en détention préventive pour six mois. Au terme d’une très longue instruction de cinq ans, en 2009, la juge chargée du dossier rend un non lieu pour l’abus de faiblesse ; les conséquences « gravement préjudiciables » qui doivent en découler au sens de l’article 223-15-2 du Code pénal, n’ayant pas été démontrées selon la magistrate. La chambre de l’instruction confirme.
Au cours de son procès, devant le tribunal correctionnel de Millau en juin 2009, le gourou et quatre de ses proches n’avaient à répondre que de détention d’armes sans autorisation. Ils ont écopé de peines d’emprisonnement avec sursis.
SON ARME : LE TEMOIGNAGE
"Le moins que je puisse faire, c’est de témoigner pour que d’autres ne tombent pas dans cet enfer", explique aujourd’hui Irène qui s’interroge, amère : "Nous nous sommes battues pour échapper aux griffes du groupe. La démarche qui nous a amenées à porter plainte fut pour moi une thérapie mais à quoi cela a-t-il servi en dehors de ça ? J’ai pris le non lieu dans la figure. J’en veux à la Justice. Mon combat, c’est aujourd’hui le témoignage." Elle parle donc, Irène, comme l’autre jour à Salses (66) lors du colloque organisé par la Fédération européenne des centres de recherche et d’information sur le sectarisme (Fecris).
1 commentaire:
Il me semble que le gourou s'appelle Robert. Je me souviens que Franck Marie les avaient rencontrer. Et ce plaisait à raconter que quand il était descendus dans ces galeries, il y avait des manifestations parapsychologique bizarre !
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