Nouvel Age: Bugarach, le village de l'apocalypse
Vincent Basset (Université de Perpignan)
26 Jul 2012
Le pic Bugarach, situé dans le Sud de la
France dans le département de l'Aude, attire depuis quelques années de
nombreuses personnes en quête de spiritualité (New Age, paganisme
occidental), de trésors (chercheurs de trésors des Templiers, du tombeau
de Jésus), mais aussi d'extraterrestres. Selon les croyances récemment
énoncées par des groupuscules ésotériques, la montagne serait l'une des
12 portes intersidérales d'accès au monde parallèle, l'un des rares
endroits sur terre à être sauvé de la fin du monde, le 21 décembre 2012.
Au cours de ces dix dernières années, ce lieu est devenu un symbole de
référence dans les réseaux dits de pratiques néo-ésotériques et
néo-chamaniques.
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© 2012 Vincent Basset |
Le petit village de Bugarach et ses 153 habitants sont le théâtre d'une
affluence croissante de touristes mystico-spirituels. La
réinterprétation de la prophétie maya par des réseaux New Age,
présentant le pic Bugarach comme refuge avant l'apocalypse du 21
décembre 2012, est venue bousculer la tranquillité de ce village. Les
télévisions du monde entier se succèdent dans la région, les autorités
locales disent être débordées par ce phénomène, craignant une ruée de
milliers de personnes pour la soirée du 21 décembre. Le maire J-P.
Delord se déclare inquiet de risques de dérives sectaires, «il faudra
peut-être faire appel au militaire afin de bloquer l'accès au village».
Des personnes venues du monde entier viennent s'installer dans la vallée
de Bugarach, des Américains, des Finlandais, des Polonais, des Anglais,
des Canadiens... Certains y ouvrent des hébergements, des restaurants,
d'autres surfant sur la vague ésotérique proposent des stages de
méditation et de guérison en tout genre.
Mais comment s'est construite la réputation de ce village?
Le mythe Bugarach
Plusieurs éléments ont participé à la mythification de ce lieu. Tout
d'abord, le passé cathare de la région et les interprétations
historiques du début du 20ème siècle, liées à leurs connaissances
spirituelles supposées, suscitent une fascination collective toujours
d'actualité. Le mythe de la présence du Saint Graal dans les environs de
Bugarach, notamment à travers la mystérieuse histoire du trésor de
l'abbé Saunière dans le village de Rennes le Château, a participé à la
renommée internationale de ce site pour les passionnés de trésors et
d'ésotérisme. De nombreux ouvrages viennent alimenter les spéculations
au sujet de trésors cachés: selon certains de ces auteurs, les
soubassements du pic de Bugarach abriteraient le «fabuleux trésor des
Wisigoths».
Dans les années 70, un nouveau thème vient se mêler aux croyances liées à
ces lieux: un habitant de la région Jean de Rignies, est le premier
témoin de la manifestation d'êtres extraterrestres. Les apparitions
d'OVNIS se succèdent alors au-dessus du pic de Bugarach. Jean D'Argoun,
auteur ésotérique et prophète du New Age, va développer le mythe
extraterrestre en affirmant être rentré en contact direct avec des êtres
divins venus d'une autre planète. Ces derniers lui auraient révélé
l'existence d'une base extraterrestre ou plus exactement un «vaisseau
issu de l'ancienne Atlantis» abritant le corps en léthargie du «dernier
roi d'Arkha». Selon cet auteur, cette montagne fonctionne comme «un
terminal qui permet de se connecter à la banque de données cosmiques
«l'Akasha», la mémoire universelle, cette montagne représenterait donc
le 7ème chakra de la planète, une porte suprême qui s'ouvre tous les
25000 ans» («Bugarach, le village qui attend l'apocalypse», France Culture, 22/07/2011).
Sous l'impulsion des publications de Jean d'Argoun, le tourisme
spirituel se développe très vite au début des années 2000. Il ne faut
pas attendre longtemps pour que certains New Agers fassent
correspondre la fin du calendrier maya, le 21 décembre 2012, avec
l'ouverture du vortex de Bugarach, qui permettrait d'ouvrir un tunnel
dimensionnel, c'est-à-dire «une porte vibratoire» sur un autre univers.
Le réseau internet diffuse ce mythe cosmogonique à tel point que le
nombre de visiteurs se rendant au sommet du pic Bugarach est passé entre
2010 et 2011 de 10'000 à 20'000.
D'autres éléments, tels que l'originalité de différents lieux naturels
de la région, concourent à la mythification de cette région. Le rapport à
cette nature prétendue «magique» représente un véritable support de
valeurs identitaires pour ses visiteurs. La forêt de Nébias, par
exemple, ou chemin des fées, abriterait des formes de vies
surnaturelles telles que des elfes, des lutins et des fées. De nombreux
témoignages recueillis attestent en effet de la manifestation de ces
êtres au travers de photos où apparaissent «d'étranges lumières bleues».
Les «esprits gardiens» de cette forêt se seraient matérialisés sous
forme de roches ou d'arbres aux formes anthropomorphiques. Le Mont
Bugarach recèle aussi de nombreuses formes originales, certains y voient
un bouddha, un personnage allongé regardant le ciel, un phallus... Ces
éléments naturels conditionnent le regard et les représentations
collectives, et ce rapport magique à la nature semble être partagé par
la majorité des visiteurs.
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La fontaine des amours (Rennes les Bains) (© 2012 Vincent Basset). |
Il faut dire que ce pic occupe une situation géostratégique dans la
cosmogonie New Age, puisqu'il représente le point culminant d'une zone
«magique et mystérieuse» s'étendant sur 80 km 2: Rennes le château et
les mystères de l'abbé Saunière, le Mont Cardou où se trouverait le
tombeau du Christ, Rennes les bains et ses lieux «d'énergie» (le
fauteuil du diable, les roches à cupules).
Plus récemment, d'autres propagateurs du «mythe Bugarach» sont venus
l'amplifier, notamment les différents guides spirituels officiant dans
la région, qui mythifient cet espace à travers une publicité
sensationnaliste sur internet. De nombreux auteurs ésotériques ont aussi
su profiter de ce phénomène: des ouvrages comme Bugarach: la montagne sacrée, L'appel du Bugarach, Et Dieu créa Bugarach, La pierre noire du Bugarach,
ont connu un succès étonnant. Selon Ph. Marlin, libraire à Rennes le
Château, un nombre important d'ouvrage vont encore paraître durant
l'année 2012. De nombreux DVD signés Debowska Production,
installée à Rennes les Bains, traitant de la spiritualité et des
mystères de Bugarach, contribuent à entretenir l'imaginaire
mystico-spirituel relatif à cette région. À la fois vidéaste et acteur
de ce phénomène, cette maison a invité de nombreux Amérindiens du
Mexique et du Canada à venir sur les terres du Bugarach «afin de
réveiller la mémoire des lieux» et y proposer des stages néochamaniques.
Cette construction mythologique contemporaine renvoie à deux démarches
distinctes. La première relève de ce que l'on pourrait appeler des
«sciences secrètes» à caractère conspirationniste, notamment de type
ufologique, puisque de nombreuses personnes ont été témoin d'apparitions
extraterrestres dans la région. On peut y ajouter les chercheurs de
trésors développant les théories les plus étonnantes sur les trésors
enfouis (Arche d'Alliance, trésors des Wisigoths, trésors des
Templiers...).
La seconde peut se définir comme le courant de la spiritualité, de
l'éveil, de la prise de conscience mystico-ésotérique, dont les acteurs
sont issus principalement de la génération post-hippie. Cette population
regroupe des néo-ruraux qui se sont installés principalement à Rennes
les Bains et des touristes qui alimentent et diffusent les croyances et
théories New Age dans le monde entier.
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© 2012 Vincent Basset |
Les activités mystico-spirituelles
L'ascension du pic de Bugarach représente une des activités centrales
des touristes mystico-spirituels de la région. Certains disent y monter
pour «se ressourcer» et «se charger en énergie», d'autres y organisent
des rituels néochamaniques. La montagne représente le centre névralgique
de tous ces curieux, «là où nous pouvons changer notre attitude, et
laisser derrière nous tous nos problèmes». D'ailleurs de nombreux
autels, inscriptions gravées sur la roche, et autres offrandes attestant
de l'activité au sommet du pic. Ces traces sont quotidiennement
«nettoyées» par les autorités locales. Les habitués ont coutume de dire:
«il faut se préparer psychologiquement avant l'ascension du pic, c'est
bien plus qu'une montagne, c'est une entité qui permet à chacun de se
recentrer sur lui-même».
Claudine, serveuse au Relais du Bugarach, est arrivée depuis six mois
dans le village; elle avait entendu parler de Bugarach à la radio, «ça
était comme une révélation, rien que la sonorité du mot Bugarach
m'attirait, j'ai quitté mon mari, ma région, et je suis venu ici sans
savoir ce que j'allais trouver. J'ai pris conscience que le temps était
précieux, et qu'il fallait vivre pleinement ses rêves». Comme elle, de
nombreux curieux en quête de sens ont répondu présent à «l'appel du
Bugarach» (pour reprendre le titre d'un livre de Genny Rivière publié en
2011), mais la difficulté pour nombre d'entre eux était de trouver une
activité économique leur permettant de s'installer à l'année à proximité
du Bugarach. Comme dans le village de Wadley au Mexique, où j'ai pu
étudier le phénomène du tourisme mystico-spirituel s'organisant autour
du «Mont Quemado», certains nouveaux arrivants «formés» à la
radiesthésie, à la géobiologie, au chamanisme, au reiki, au Qi gong, ont
décidé de proposer leurs services de guides spirituels lors de stages
«initiatiques». Moyennant 350 euros pour un stage de trois journées,
l'ensemble des activités proposées oscillent entre des pratiques
culturelles indo-asiatiques, amérindiennes, mais aussi néo-païennes et
néo-cathares.
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Témazcal ou bain de sudation en face du pic Bugarach (© 2012 Vincent Basset). |
Sur internet, plus d'une dizaine de sites proposent des stages
«initiatiques» à Bugarach: pour ces réseaux New Age, la toile du web
représente un outil très efficace afin d'attirer de nouveaux clients.
Par exemple, sur le site de Chrysalis: La métamorphose vers une nouvelle conscience,
animé par Edmond, spécialiste en massage métamorphique, et Cathie,
formatrice en reiki et channeling, différents stages sont proposés dont
celui du «séjour méditation au Bugarach». Il représente un exemple
typique de stage mêlant différentes traditions et courants de la
spiritualité. Il commence par une séance de méditation afin de faire le
point sur notre situation personnelle, et se nettoyer spirituellement
avant de monter au Pic. Puis Edmond et Cathie nous guideront pour une
marche méditative au sommet du Bugarach afin «d'élever notre taux
vibratoire», et pour terminer les participants seront invités à
effectuer une ultime «purification du corps et de l'esprit» au sein de
la hutte de sudation, le sweat-lodge de tradition amérindienne.
Durant ces stages, les différents lieux «magiques» de la région sont
utilisés à des fins différentes: le site des «roches tremblantes» permet
par exemple un travail d'ancrage dans le sol afin de se décharger des
énergies négatives, les rivières et fontaines naturelles servent à
travailler sur les émotions, et d'effectuer un travail de purification
de la personne depuis sa naissance et enfin le pic Bugarach afin de
s'élever spirituellement et de se connecter à des dimensions parallèles.
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Bruno, passeur de crânes de cristal et lithotérapeute (© 2012 Vincent Basset). |
D'après l'étude menée par Th. Gottin dans son ouvrage Le phénomène Bugarach, un mythe émergent
(Paris, Ed. de l'Œil du Sphinx, 2011), les participants à ces stages
sont composés à 80 % de femmes, âgées généralement entre 40 et 60 ans,
et occupant des postes de cadre ou de professions libérales. Comme j'ai
pu l'observer au Mexique lors de mon étude sur le tourisme
néochamanique, les motivations des participants à ces stages
«initiatiques» répondent et s'articulent autour de trois prérogativesen
lien direct avec une situation de fracture sociale (travail, famille,
amis, maladie, dépendance aux drogues):
* La recherche de sens qui peut se comprendre comme une
tentative de ré enchantement du monde, c'est-à-dire de retrouver une
forme d'interprétation magico-religieuse du monde extérieur et une
meilleure compréhension de soi.
* La construction d'un univers religieux personnel qui peut se définir
comme une individualisation de la construction religieuse où le sujet,
régi par ses valeurs occidentales, choisit ses propres croyances et
pratiques rituelles.
* Et enfin, la dimension thérapeutique, où l'appel des «esprits» et des
«énergies de la terre» permettrait l'obtention d'une guérison aussi bien
sur le plan psychologique que physique. Selon ces guides spirituels,
l'efficacité thérapeutique réside dans l'éveil d'une mémoire ancestrale
où «chacun possèderait une capacité spirituelle innée, réservoir d'un
formidable potentiel d'auto-guérison» ( V. Basset, Du tourisme au néochamanisme: exemple de la réserve naturelle sacrée de Wirikuta au Mexique, Paris, L'Harmattan, 2011).
Les Monts sacrés: du Bugarach au Mexique, un lien qui a du sens
Ici ou ailleurs, des montagnes font l'objet de nouveaux cultes
mystico-spirituels, et sont érigées, à travers un processus de
réappropriation culturel et symbolique, en véritables «monts sacrés».
Lorsque je suis parti au Mexique en 2001 pour y étudier le phénomène du
tourisme mystico-spirituel dans une réserve naturelle sacrée, j'étais
loin d'imaginer que tout près de chez moi, à moins d'une heure de route,
un nouveau «mont sacré», le pic Bugarach, était en train de se faire
une place dans la cosmogonie des réseaux New Agers et néochamaniques du monde entier, comme étant une des «12 portes intersidérales d'accès au monde parallèle».
Comme le Mont Shasta en Californie, ou Sedona en Arizona, les montagnes
du Quemado dans l'Etat de San Luis Potosi au Mexique, et du Bugarach en
France font désormais parties de «l'Atlas New Age des Haut lieux
en énergie tellurique de la terre». La consécration de ces montagnes en
tant que «monts sacrés» répond dans les deux cas à des processus
similaires: le remodelage et le bricolage mythologique, l'appropriation
par des populations non locales de rituels et croyances syncrétiques
mystico-spirituelles, et la quête mystique et thérapeutique dont sont
l'objet ces montagnes.
Projet filmique:
Vincent Basset et la vidéaste Guilia Grossmann préparent actuellement un
docu-fiction sur Bugarach et la réserve de Wirikuta au Mexique,
intitulé «Wirikuta, là où les dieux nous touchent», qui devrait sortir
sur les écrans de télévision en 2013.
Vincent Basset, anthropologue à
l'Université de Perpignan, spécialisé dans les thèmes du néochamanisme
et du tourisme. Son travail de thèse portant sur le tourisme
mystico-spirituel au Mexique a été publié en décembre 2011 à
L'Harmattan: Du tourisme au néochamanisme: Exemple de la réserve naturelle sacrée de Wirikuta au Mexique.
© 2012 Vincent Basset |
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