10 août 2012
Le château de Bran
Libération.fr
«Sans doute m’étais-je endormi ;
sinon, comment aurais-je pu ne pas être frappé par le spectacle
qu’offrait ce vieux château ? Dans la nuit, la cour paraissait grande et
comme, en outre, plusieurs passages obscurs partaient de là et
conduisaient sous de grandes arches, cette cour semblait peut-être
encore plus grande qu’elle n’était en réalité. (…) Je me trouvais près
d’une grande porte ancienne, toute cloutée de caboches de fer ;
l’embrasure était de pierre massive. Malgré l’obscurité, je remarquai
que la pierre était sculptée, mais le temps et les intempéries avaient
considérablement usé ces sculptures. (…) Le château est bâti sur le
rebord même d’un précipice impressionnant. Une pierre que l’on jetterait
d’une des fenêtres tomberait mille pieds plus bas sans avoir rien
touché sur son parcours. Aussi loin que l’on puisse voir, c’est une
véritable mer de cimes vertes d’arbres, entrecoupée ça et là lorsque
s’ouvre un creux dans la montagne. On distingue aussi comme des fils
argentés ; ce sont des ruisseaux qui coulent en des gorges profondes à
travers cette immense forêt. »
Extraits du journal de Jonathan Harker (5 et 7 mai), repris par Bram Stoker dans Dracula.
Cette description que nous livra Jonathan Harker peu avant de réaliser
qu’il se trouvait prisonnier du comte Dracula n’a strictement rien à
voir avec le château de Bran que nous découvrons aujourd’hui. Les
détails relatifs au paysage correspondent bien avec ceux que nous avons
découvert dans le nord de la Transylvanie,
tandis que nous cherchions le château dans la région où il devrait se
situer, mais pas du tout à celle de Brasov où nous sommes parvenus hier
soir. Cela dit, nous ne pouvions décemment manquer cette star des
brochures touristiques, curieusement associée à Vlad Tépès ainsi qu’au
personnage de Dracula depuis les années 1970, alors que pratiquement
rien ne relie les trois entités. Au pied de l’édifice qui domine la
petite bourgade de Bran, nous en comprenons vite la motivation
principale, avec la multitude d’échoppes qui rivalisent d’horreur en
alignant jusqu’à la nausée mugs Vlad Tépès, T-shirt Vlad Tépès,
cuillères Vlad Tépès, vin Vlad Tépès, assiettes Vlad Tépès, taies
d’oreiller Vlad Tépès, parapluies Vlad Tépès, grille-pain Vlad Tépès, au
côté des mêmes objets à l’effigie de Dracula. Nous avons la nette
impression de nous trouver au milieu d’un concours : le merchandising
touristique dans sa version la plus effroyable. Horrifiés, nous nous
empressons d’acquérir deux tickets hors de prix pour nous réfugier au
plus vite dans l’enceinte du monument.
L’aspect extérieur du château, tout en tours sommées de toitures
pointues et murs percés de barbacanes, demeure médiéval à souhait et
dégage une impression de romantisme matiné d’un soupçon de fantastique.
En revanche, l’intérieur a été réaménagé au début du 20ème siècle pour
servir de résidence d’été à la reine Marie, nièce de la reine Victoria,
lorsque le château lui fut offert par la ville de Brasov en 1920. Le
contraste est flagrant : nous découvrons un charme à peine suranné en
déambulant au gré des multiples terrasses, des passages à claire-voie et
des salons coquets. Géographiquement, le château se dresse plusieurs
centaines de kilomètres au sud de la région où devrait se situer celui
du Dracula de Stoker. Cela n’a pas empêché les organisateurs d’aménager
l’une des pièces en petit musée consacré au comte, avec notamment
plusieurs éléments de costume ayant servi dans le film de Coppola,
certificats d’authenticité à l’appui. Quant à Vlad, qui possède
également une pièce dédiée, il ne dut séjourner ici qu’à quelques rares
occasions, s’il y séjourna réellement. À l’époque de ses règnes, le
château de Bran servait de place forte gardant la route entre la
Transylvanie et la Valachie, sa mission étant de protéger le passage à
travers les Carpates tout en percevant les taxes marchandes. En fait,
l’origine de l’association entre ce monument et les deux Dracula relève
d’une logique purement touristique : il s’agit de l’un des plus beaux
châteaux de la Roumanie, donc autant attirer les touristes ici
qu’ailleurs…
Comme
vous le savez, ce blog n’est rien d’autre qu’un avant-goût fragmenté de
notre projet dont la teneur principale est la publication d’un livre
illustré chez les Moutons électriques éditeurs en novembre 2012. Si vous
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reste que jusqu’au lundi 13 août pour nous aidez en vous rendant sur
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