Le Lion de Nubie de Richard Marazano et Marcelo Frusin
ACTU SF
Etant
plongé dans le rattrapage de mes retards de lecture en BD, je viens
seulement de lire un album d’aventures superbe, le tome 1 de "L’Expédition", intitulé "Le Lion de Nubie",
sorti en février chez Dargaud, oeuvre de Richard Marazano et Marcelo
Frusin. J’ai été immédiatement conquis, comme l’Egypte vient de l’être,
au début de l’histoire, par Rome. Nous sommes en effet en 739 après la
fondation de Rome et l’Empire consolide à peine son emprise sur sa
nouvelle province. Aurelius, avocat célèbre, est appelé pour s’occuper
du cas d’un Romain à demi fou qui vient d’être arrêté et qui portait le
sceau de son ami Caïus Bracca, mort au combat une dizaine d’années
auparavant. Marcus Livius est un déserteur, il le reconnaît lui-même,
mais il a agi sur l’ordre de Bracca. Et il va nous conter l’histoire de
l’expédition qu’il a monté et dirigé en accord avec celui-ci : sur un
bateau inconnu échoué sur les rives du Nil a été trouvé le cadavre d’un
homme orné de tatouages inconnus et couvert de bijoux somptueux. Bracca,
qui est un érudit, a reconnu une écriture indéchiffrable et les
tatouages, provenant d’un empire aussi riche et mystérieux qu’inconnu,
au-delà des frontières de la Nubie et de la Libye. Il faut donc monter
une expédition pour découvrir cet empire, pour la plus grande gloire de
Rome et de Bracca. A cet effet Marcus recruté une équipe de sac et de
corde, des soldats n’ayant plus rien à perdre et, avec en souvenir la
statuette d’une femme superbe trouvé sur le corps, il est parti. Nous le
suivons dans ses aventures pour traverser des contrées hostiles et
désertiques jusqu’aux frontières de cette civilisation inconnue,
atteintes à la fin de ce premier album. Vous l’avez compris, avec cette
histoire, nous sommes plongés dans un récit de "lost race", aux relents
fort agréables de Rider Haggard et d’Edgar Rice Burroughs, dans le coeur
de cette Afrique noire où tout est possible. Et le fait que cela se
déroule à une époque pour nous-mêmes déjà fabuleuse, celle de
l’expansion de Rome, au lieu de l’habituelle fin du XIXème siècle, avec
des légionnaires romains perdus au lieu d’explorateurs victoriens,
ajoute un charme et un attrait supplémentaires à cette belle aventure.
De plus, les dessins et les décors sont fort beaux - la case du combat
contre l’éléphant p. 47 est superbe ! -, le tout formant un album très
réussi et original. L’attente va être longue pour découvrir les
merveilles de l’empire perdu mais nous pourrons lire et relire ce tome
entre-temps.
Le Mal des esprits de Richard D. Nolane
Il
semblerait que Richard D. Nolane soit dans une période uchronique :
après la Deuxième Guerre mondiale, il s’attaque avec autant de bonheur
au Moyen-Age. Dans sa nouvelle série "Démon", dessinée par Michel Suro, dont le premier volume, "Le Mal des esprits",
est sorti en février, il nous fait découvrir un monde dans lequel la
troisième des grandes religions du Livre n’est jamais apparue (pour des
raisons qui seront sans doute explicitées plus tard) ce qui a permis au
royaume wisigothique de perdurer des deux côtés des Pyrénées alors que
l’empire franc fondé par Charlemagne domine l’Europe, face à la papauté
romaine. L’histoire débute en 1213 quelque part dans l’Atlantique où un
navire guidé par le marchand vénitien Renato Polo atteint sa
destination, une île mystérieuse et désolée, aux ruines monumentales
ravagées, où des richesses énormes en bijoux et objets d’or gisent
abandonnées... Et deux ans plus tard, aux frontières de l’empire,
revient en sa bonne ville de Rhedae (son nom moderne de
Rennes-le-Château parlera peut-être plus aux lecteurs) Alaric, fils d’un
conseiller de la ville et "missus dominicus" frais émoulu de l’école
(ce sont les enquêteurs aux pleins pouvoirs de l’Empereur, intouchables
quoi qu’ils fassent), après ses années de formation. Il découvre une
région en proie au terrifiant Mal des esprits (les gens deviennent fous
et incontrôlables avant de mourir), mal attribué bien entendu par le
peuple superstitieux et dominé par les curés et les bigots aux Juifs et
aux Cathares. Sa propre soeur est atteinte alors qu’il doit partir mener
une mission urgente à Carcassonne. Il y découvrira qu’un professeur
célèbre, Wallia, vient d’y être assassiné et que cela cache quelque
chose d’autre, fondamentalement important pour l’avenir. Il va donc
mener enquête et mission de front : Nolane, dans ce premier tome, pose
tous les jalons d’une histoire fantastique et intrigante, où nous
devinons qu’elle va prendre des directions passionnantes (qui peut
résister à l’Atlantide et à Rennes-le-Château, sans parler des
possibilités offertes par ce monde uchronique ?),avec un personnage
principal, Alaric, sympathique, intelligent et tolérant pour son époque
et d’autres ambigus - Renato Polo ou le pape - ou franchement répugnants
- l’inquisiteur de Carcassonne ou le comte de Rhedae. Le dessin de
Michel Suro est fort agréable. Je me suis pris au jeu de la comparaison
des mondes et des conséquences des points de divergence sous-entendus,
logiquement tirées par Nolane. Inutile de dire que j’attends maintenant
avec impatience la suite pour en savoir plus !
Ignition City de Warren Ellis et Gianluca Pagliarani
Les
vacances sont un bon moment pour rattraper des lectures en retard, ce
que j’ai fait en particulier pour les BD. Et c’est aussi l’occasion de
réaliser que l’on n’a pas lu dès sa sortie un chef d’oeuvre ! Cela vient
de m’arriver avec "Ignition City", scénario de Warren
Ellis et dessins de Gianluca Pagliarani (Glénat, collection Avatar).
Certes le nom de Warren Ellis est synonyme de grande qualité mais là il
s’est surpassé : Ignition City est le dernier astroport ouvert sur la
terre dans les années 50. En effet, la conquête spatiale a débuté dans
les années 30 mais, suite aux ravages causés par les extraterrestres,
les gouvernements de tous les pays se sont frileusement repliés sur
eux-mêmes : au début de l’histoire, Mary Raven, la fille du célèbre
pilote spatial Rock Raven et elle-même pilote émérite, vient de se faire
confisquer sa fusée et apprend que la France vient d’interdire le vol
spatial, que le Royaume-Uni va faire de même et que son père vient de
mourir. Elle va donc se rendre à Ignition City, île isolée du monde et
territoire international, pour y récupérer les affaires de Rock et
comprendre les causes de son décès. Elle va y découvrir un lieu mourant,
dépotoir où les derniers pionniers de l’exploration spatiale terminent
leurs jours, ayant perdu tout espoir de voler à nouveau : Bowman
l’Eclair, après ses exploits sur la planète Khargu et le renversement du
maléfique empereur Kharg, est devenu trafiquant d’armes alors que son
ex-femme, Gayle, tient un bar où vient se saoûler en permanence un
certain Bronco, renvoyé du XXVème siècle où il avait mené la révolte des
Américains contre leurs oppresseurs asiatiques, sans parler du génial
Doc Vukovic, l’homme qui avait construit la première fusée dans son
hangar pour aller sur Kharg, dont on vient saccager le laboratoire une
fois par mois ou du marshall Pomeroy, à l’armure de "King of the Rocket
Men", complètement pourri par le système, et d’autres encore comme un
certain nombre d’extraterrestres que l’on s’amusera à identifier... Vous
l’avez compris, il s’agit là d’un superbe hommage de Warren Ellis à
tous les personnages des pulps et des serials des années 30 : mais les
héros sont fatigués et désabusés, la conquête spatiale n’a pas tenu ses
promesses d’avant la 2ème guerre mondiale (faut-il y voir une critique
voilée de l’arrêt de notre propre programme spatial dans les années
70 ?) et le monde n’a plus guère de rêves ni d’espoir.
Résultat : un magnifique album,
bourré de références et de clins d’oeil à l’Age d’or de la SF, où l’on
distingue les derniers feux ténus de ce qui a porté les hommes vers la
frontière ultime, superbement servi par le dessin très fin et tout en
demie-teinte de Gianluca Pagliarani qui rend bien l’atmosphère glauque
dans laquelle baignent histoire et personnages. Un bel exemple de
rétro-futurisme réussi qui fait attendre avec impatience une suite.
Sous le signe du Scorpion de Maggie Stiefvater
Je
ne suis pas, en général, un très grand lecteur de littérature
fantastique proprement dite - à l’exception, bien entendu, de la
littérature vampirique - mais il m’arrive, de temps en temps, de lire un
roman sortant du commun. Et c’est le cas de "Sous le signe du Scorpion"
de Maggie Stiefvater (Hachette / Black Moon), une histoire à la fois
originale et envoûtante. L’auteur nous emmène sur la petite île désolée
et sauvage, battue par les vents et la mer, de Thisby, une vieille terre
gaëlique qui vit à l’écart de son époque (époque d’ailleurs non
spécifiée mais qui semble être la première partie du XXe siècle). Thisby
vivote toute l’année et n’attire les touristes du continent qu’à
l’époque de ses courses de chevaux, fameuses entre toutes, le 1er
novembre, en plein signe du Scorpion. Car c’est pendant le mois du
Scorpion qu’arrivent de la mer et peuvent être capturés et montés, au
risque de sa vie, les célèbres "capaill uisce", les chevaux de mer
féroces et carnivores. En donnant vie à ces contes des chevaux marins
maléfiques qui incitent les humains à les monter afin de mieux les
entraîner sous les eaux, contes que l’on trouve aussi bien en Ecosse
qu’en Irlande, Maggie Stiefvater, dans une prose superbe, nous raconte
l’histoire de deux adolescents, Sean Kendrick, cavalier émérite qui
comprend intimement les chevaux y compris marins et a déjà gagné
plusieurs courses, et la jeune Puck Connolly qui va participer pour la
première fois avec sa petite jument "normale". Tous deux doivent, pour
des raisons impératives, gagner la course ; leur histoire et leur
rivalité nous sont racontées en courts chapitres, écrits à la première
personne, par chacun d’eux, en alternance. Ils nous font ainsi partager
leurs sentiments, leurs réactions l’un par rapport à l’autre, face aux
autres - une belle galerie de personnages allant de l’homme riche et
sans pitié de l’île, M. Malvern, aux soeurs Maud, commerçantes en
souvenirs divers, ou à Peg, la femme du boucher et la gardienne des
traditions de Thisby, sans compter George Holly, l’Américain éleveur de
chevaux en Californie. Maggie Stiefvater a su parfaitement rendre
l’atmosphère pesante, pour ne pas dire étouffante, de cette petite
communauté d’êtres relativement frustes, renfermés sur eux-mêmes face
aux étrangers, et qui essaye de s’adapter à une certaine modernité au
risque de perdre son âme et chez qui subsiste toujours la sauvagerie des
âges anciens sous un très mince vernis de civilisation. Elle rend aussi
très bien l’excitation grandissante et la soif de violence montant à
l’approche de la course et, point d’orgue, celle-ci. Par petits détails,
nous en apprenons un peu plus, mais pas beaucoup, sur les "capall
uisce" et la vieille religion supplantée (l’a-t-elle été vraiment ?),
mais finalement à nous de remplir les blancs car ceux qui pourraient
nous le dire tiennent tout cela pour acquis donc pas à raconter, sans
compter que nous, lecteurs, sommes des étrangers...
Maggie Stiefvater a écrit là un roman
complètement différent de ses précédents, où s’expriment la difficulté
d’être et d’aimer, et de l’exprimer, de deux jeunes gens qui font
l’apprentissage de la vie et de l’amour sans avoir jamais eu les outils -
ou les parents car ils sont tous deux orphelins - nécessaires : voilà
un roman extraordinaire dans tous les sens du terme et une très belle
histoire d’amour, entre un garçon et une fille, mais aussi entre des
êtres humains et des chevaux, un roman violent, intimiste, poignant et
attachant, un très grand roman.
Le Prince écorché de Mark Lawrence
Mark Lawrence est un nouveau venu sur la scène de la "dark fantasy" où il fait une entrée magnifique avec "Le Prince écorché" ’premier tome de "L’Empire brisé",
Editions Bragelonne). Et quand je dis "dark", je suis en-dessous de la
réalité : le roman débute par une scène d’ultra-violence qui fait passer
Alex et ses copains pour des enfants de choeur. Le "héros" en est le
prince Jorg Ancrath, treize ans à peine et déjà quatre années de tueries
et de pillages derrière lui, car il a quitté le château du roi son père
après l’assassinat dans des conditions épouvantables, lors d’un voyage,
de sa mère et de son jeune frère pendant qu’il survivait de justesse à
des blessures atroces. Il est devenu un être froid et détaché, pour qui
seul compte le "jeu", à savoir gagner la partie qui consiste à devenir
roi à son tour et surtout à rétablir l’ancien "Empire brisé" en plus
d’une centaine de petits royaumes à la suite de la "Guerre des Mille
Soleils". Nous comprenons vite qu’il s’agit aussi de science-fiction car
nous sommes manifestement dans un monde retombé en grande partie à un
degré de civilisation moyen-âgeux, où seuls subsistent quelques vestiges
de la grandeur passée. L’auteur peint ainsi un petit morceau de ce qui
est sans doute l’ancienne Europe, vraisemblablement le sud de
l’Angleterre, la Bretagne ou la Normandie, éclatée en nombre de petits
fiefs rivaux qui se livrent des guerres picrocholines sans merci.
L’Eglise de Roma est naturellement l’un des pouvoirs importants, se
livrant à la chasse au pouvoir temporel et à celle des sorciers car
l’une des conséquences de la guerre qui a lieu trois cents ans
auparavant a été de rendre possible, dans des conditions mal élucidées,
la présence de fantômes, de nécromants ressemblant furieusement à des
vampires, de ce que nous comprenons être des mutants et permettant à une
sorte de magie de fonctionner. Cela donne un monde terrible et
magnifique, fort bien décrit par l’auteur.
A travers les mémoires de Jorg, car
tout le roman est écrit à la première personne d’une manière froide et
analytique ce qui le rend encore plus efficace et terrifiant, nous
entrons dans l’esprit d’un "monstre", nous voyons la manière dont il
fonctionne et nous éprouvons une fascination morbide pour ce "Prince
écorché", victime des machinations de sa famille qui pourrait rendre des
points à nos rois mérovingiens et de mages tout-puissants auquel il
sert de pion alors qu’il croit mener sa propre partie. Tout l’intérêt du
livre est là, dans cette partie où chacun croit être un joueur et où
chacun est une pièce, où tous sont sacrifiables et sacrifiés sans
beaucoup de regrets car tout ce qui compte, n’est-ce pas, c’est de
gagner (cela rappelle beaucoup les discours contemporains sur l’intérêt
supérieur du pays et la doctrine militaire des dommages collatéraux
acceptables...). Accompagné de la bande de coupe-jarrets dont il est
devenu le chef par des actions calculées qui sont expliquées de manière
détachée, Jorg entreprend de réaliser ses buts, de vivre sa propre vie,
mais est-ce bien le cas ? Mark Lawrence nous fait assister au
déroulement d’une pièce dans un théâtre de marionnettes où chaque
marionnette est aussi un marionnettiste mais est-ce un assemblage de
poupées russes ou un cercle fermé ? Vous le saurez en lisant ce roman
extraordinaire, où il n’y a guère de personnages sympathiques mais
uniquement des victimes-bourreaux qui se débattent dans des situations
impossibles en essayant, au mieux de faire au moins mal, au pire sans se
préoccuper de quoi que soit, l’important étant de survivre à l’instant
présent. J’ai lu le roman en une nuit, passionné par le destin de Jorg,
personnage répugnant et attachant - il faut féliciter l’auteur pour ce
tour de force réussi - et par cet univers de violence et de beauté en
ruines. Un grand moment de lecture !
L’Alliage de la Justice de Brandon Sanderson
Je
fais partie de ces lecteurs qui apprécient particulièrement
l’originalité, une denrée de plus en plus rare dans les ouvrages
d’imaginaire où l’on pourrait croire, à tort, que tout a déjà écrit au
moins une fois. Et de l’originalité, Brandon Sanderson en a à revendre,
comme le démontre, une fois de plus, son dernier roman, "L’Alliage de la Justice"
(Orbit). Il nous emmène à nouveau dans le monde de Scadrial, ce monde
qu’il nous avait déjà fait découvrir dans la magnifique trilogie des Fils-des-Brumes
(Orbit), un monde où certains ont le pouvoir de brûler un métal ou un
autre, ce qui leur confère des capacités surhumaines - on les appelle
des allomanciens - et celles-ci peuvent être emmagasinés dans des
cerveaux métalliques auxiliaires - la ferromancie -, pouvoirs dont ils
usent ou abusent selon le cas, ce qui avait entraîné la révolte et le
renversement de l’Empereur Ultime contés dans la trilogie précédente.
Trois siècles plus tard, les héros de cette aventure magistrale sont
devenus des personnages de légende et la ville-capitale du monde connu,
Elendel, continue de se dresser fièrement, avec maintenant des
éclairages électriques, des chemins de fer, quelques voitures
automobiles et ses premiers gratte-cielcar, contrairement à la plupart
des univers de fantasy, ici la technologie connaît des avancées et la
société n’est pas statique mais progresse.
Suite à la mort accidentelle de son oncle et de sa soeur, lord
Waxillium Ladrian (Double-Fils car il combine deux pouvoirs
allomantiques au lieu d’un comme la plupart) a quitté à regrets son
poste de "garde-loi" dans les Rocailles, cette Frontière où l’ordre et
la justice sont sommairement rendus, pour rentrer à Elendel assumer son
rôle de chef de l’une des grandes maisons et essayer de rétablir la
sécurité financière de celle-ci, mise à mal par la gestion de son oncle.
Et quel meilleur moyen que de faire un mariage de raison avec une femme
richement dotée ? Il rencontre ainsi Steris, femme de tête et solution à
ses problèmes d’argent mais pas d’amour. Mais au moment où il s’est
fait une raison et décidé à ranger ses pistolets Sterion, voilà
qu’apparaît son ancien adjoint, Wayne, maître en déguisements, qui
essaye de le faire rempiler avec les forfaits du gang des
Subtilisateurs, ces bandits qui réussissent à piller des cargaisons de
train à l’intérieur de wagons plombés sans les ouvrir et qui ont
commencé à dévaliser aussi les voyageurs, prenant des otages pour
couvrir leur fuite. Ils vont cependant commettre une erreur
fondamentale : attaquer et voler les participants à la soirée à laquelle
assiste Wax et enlever Steris, plus essayer de tuer Wax ! Aidé de Wayne
et de Marasi, la cousine de Steris, étudiante en criminologie, cette
science nouvelle, lord Waxillium va mener son enquête qui va le forcer à
résoudre plusieurs énigmes : pourquoi les Subtilisateurs volent-ils
aussi bien de la laine que l’aluminium ? comment s’introduisent-ils sans
effraction dans des wagons fermés de l’intérieur ? que font-ils des
otages qu’ils ne libèrent jamais ? qui est le chef du gang ? Cela va
l’entraîner dans une quête ponctuée de nombreux cadavres et de tout
aussi nombreuses explosions, de fusillades et de batailles épiques, de
rencontres avec des personnages étonnants, comme l’armurière Ranette ou
le légendaire Miles, le garde-loi immortel grâce à son pouvoir tiré de
l’or. Brandon Sanderson nous donne des descriptions époustouflantes des
combats que l’on peut livrer lorque l’on est un Fils-des-Brumes
expérimenté, en utilisant toutes les possibilités offertes, et il
n’oublie pas d’exploiter toutes les potentialités présentées par ce
métal rare qu’est l’aluminium, sur lequel les allomanciens n’ont aucun
pouvoir, ce qui donne donc des armes "ultimes" aux balles invulnérables
(tout en tenant compte des lois de la physique, incontournables dans ce
monde comme dans le nôtre)... Il manipule avec brio tous les ressorts de
la littérature populaire : personnages attachants et tourmentés (en
résolvant cette enquête Wax se trouvera lui-même, Wayne affrontera ses
démons intérieurs), vilains mégalomaniaques comme on les aime et
méchants particulièrement vicieux, complots et conspirations imbriqués
les uns dans les autres à la manière de poupées russes, le tout dans une
ville proche du Londres victorien mais avec des personnages à la
mentalité Far West. Cela donne un mélange détonnant - dans tous les sens
du terme -, un roman qui est à la fois un polar de détective à la Nick
Carter, une sorte de western urbain et une belle oeuvre de "fantasy
scientifique", bref un "page turner" que j’ai lu en une nuit blanche,
magistralement traduit, comme les précédents, par Mélanie Fazi qui rend
toutes les subtilités de la langue de Sanderson. Et, pour parfaire notre
bonheur, est ajoutée en fin de volume une courte nouvelle, "Le onzième
métal", ressortant des "Fils-des-Brumes", sans oublier des récapitulatifs des métaux et de leurs propriétés afin de mieux suivre. Un grand bonheur de lecture !
La Tour Elfique de Michael J. Sullivan
Il y a quelques semaines (avril) je vous faisais part du plaisir que j’avais eu à lire le premier tome des "Révélations de Riyria"
de Michael J. Sullivan (Milady) et de mon impatience à lire la suite.
Nous n’avons pas eu à attendre trop longtemps car le tome 2, "La Tour Elfique",
est sorti en juin (toujours chez Milady). Deux ans se sont écoulés, nos
deux héros, le talentueux voleur Royce et le combattant hors-pair
Hadrian, coulent des jours heureux et relativement paisibles ; ils n’ont
cependant pas oublié leurs mésaventures précédentes et nous les
retrouvons dans la bonne ville de Colnora, cherchant à régler leurs
comptes avec le baron DeWitt, l’homme qui les avait trahi et entraîné
dans l’affaire de "La Conspiration de la Couronne",
devenue une pièce de théâtre à succès ! Mais leur destin va changer car,
ayant toujours trop bon coeur, ils vont accepter d’accompagner une
jeune femme, Thrace Wood, dans son village natal perdu de Dahlgren afin
de sauver son père car le village est ravagé par une bête inconnue qui
massacre les habitants et dont le baron local a lui-même été victime. A
partir de là tout bascule : ils vont se retrouver pris, pour notre plus
grand plaisir, dans les méandres d’un grand complot de l’Eglise
d’Ervanon qui cherche depuis des siècles l’Héritier disparu de l’Empire
et a décidé d’organiser un grand tournoi pour le mettre sur le trône,
tournoi truqué, cela va sans dire. Et la princesse Arista, la magicienne
rencontrée précédemment, nommée ambassadrice par son frère, le roi
Aldric, va se trouver partie prenante aux intrigues de l’Eglise. Bien
entendu, l’intrigant et puissant magicien Esrahaddon réapparaît aussi.
Résultat : un nouveau roman d’aventures, de bien beaux combats, de
nouvelles révélations en cascade qui nous en apprennent plus sur les
origines cachées de nos deux héros, un monstre particulièrement réussi -
le Gilarabrywn -, des personnages de "méchants" toujours aussi ambigus
et donc intéressants - le "bon" évêque Saldur, ce grand-père débonnaire,
continue de pousser ses pions, l’inquiétante et fanatique Sentinelle
Luis Guy, porte-parole du patriarche de l’Eglise de Novron -, de belles
descriptions de lieux - le palais du roi de Dunmore et de ses occupants
vaut le détour, comme la splendide Tour elfique qui donne son nom donne
son titre au roman. Les personnages "secondaires" sont pléthore et tous
sont très humains, avec leurs qualités et leurs défauts - que ce soit le
diacre Tomas par exemple ou le père de Thrace, Theron, et, bien
entendu, le nain assoiffé de connaissances et dépourvu de scrupules
Magnus. Et il y a même, enfin, des elfes !
L’auteur fait toujours preuve du même
humour un peu grinçant mais le ton est plus sombre que dans le premier
volume car les enjeux sont devenus plus importants et mieux appréhendés
par nos personnages qui ont vieilli et mûri. Cela donne un bon roman de
cape et d’épée et de fantasy qui se lit d’une traite car l’on se laisse
prendre avec plaisir dans les rets de l’intrigue. Ma conclusion sera
identique à celle de mon coup de coeur précédent : vivement le troisième
volume de ces "Révélations de Riyria" !
Bad to the Bone de Jeri Smith-Ready
Il y a quelques mois (mars), je vous faisais part de mon enthousiasme pour le premier volume ("Wicked Game", Milady) d’une nouvelle série de bit-lit intitulée "Le Sang du rock" : le deuxième volume, "Bad to the Bone"
(toujours chez Milady) me confirme dans mon impression qu’il s’agit là
d’une des meilleures séries de bit-lit actuelles, par son originalité et
son traitement du vampirisme et des problèmes qu’il soulève. Nous
retrouvons Ciara Griffin, l’attachée de presse/commerciale de la station
WVMP, la station qui a bâti sa célébrité sur les 5 DJ vampires qui
animent ses émissions nocturnes, son patron David et toute la petite
bande de la station, s’apprêtant à fêter Halloween avec une grande
soirée au "Cochon qui fume", le pub qui les soutient depuis le début.
Manque de chance, une organisation de fanatiques fondamentalistes décide
de pirater la fréquence, émettant de la propagande anti-vampirique et
anti-sataniste, anti-femme pour faire bonne mesure, et de mettre le feu
au pub alors même que Jeremy, un jeune journaliste est présent pour
faire un article à paraître dans le prestigieux "Rolling Stone".
Résultat : pendant plus de 450 pages pleines d’humour et de
rebondissements, Ciara va être obligée de gérer la situation, trouver
les coupables, travailler avec le Contrôle (l’organisation
para-gouvernementale qui s’occupe des questions vampiriques) alors même
qu’elle vient de se faire adopter par Dexter, un chien-vampire fruit
d’une expérience scientifique ratée (il est trop gentil !), continuer de
régler ses problèmes domestiques et familiaux - parents prêcheurs
escrocs et petit copain, Shane, vampire hyper maniaque, sans compter son
attirance pour son beau patron, David, chez qui elle se retrouve
obligée de squatter lorsqu’elle est expulsée de chez elle... Nous en
apprenons plus sur la vie des vampires autres que ceux de la station,
sur le passé/passif de Regina, la DJ qui concentre l’ire des fanatiques,
femme et vampire, tout pour leur déplaire. Jeri Smith-Ready continue
aussi d’explorer les aspects psychologiques du blocage des vampires dans
l’époque à laquelle ils ont été transformés et les efforts de Ciara et
de Shane afin d’empêcher celui-ci de se "faner". L’auteur fait toujours
preuve de la même verve, règle habilement, à travers quelques remarques
bien senties, leur compte aux militaires et aux protestants
fondamentalistes (la description des réunions du groupe de lutte contre
la dépendance à la morsure des vampires, sur le modèle des groupes pour
se débarrasser de la drogue ou pour lutter contre sa personnalité gay,
est très bien troussée), et nous présente, une fois de plus, une
bande-son bien choisie, que ce soit en début de livre ou par
l’intermédiaire de ses titres de chapitres particulièrement bien
trouvés. Je reprendrais la conclusion de mon coup de coeur précédent :
vivement un nouveau concert avec le volume 3.
Les Princes de la pègre de Douglas Hulick
Il
me semble que, depuis quelques années, les thèmes de la fantasy se
renouvellent : finis les sempiternels dragons, nains, elfes et autres
trolls évoluant dans un environnement pseudo-moyenâgeux, avec des
chevaliers droits dans leurs bottes. Les sociétés changent d’époque, les
mages suivent souvent des règles d’utilisation de la magie fort
strictes qui se transforme en une énergie d’un autre type, les héros
sont plus souvent des anti-héros. C’est le cas dans l’excellent roman de
Douglas Hulick, "Les Princes de la pègre" (premier tome des "Bas-Fonds d’Ildrecca",
L’Atalante). Comme l’indique le titre de la série, l’auteur nous emmène
dans la cité d’Ildrecca, sorte de ville italienne de la fin de la
Renaissance, dans laquelle les habitants portent pourpoints et
hauts-de-chausses à crevés et où l’on se bat à l’épée et la dague.
Ildrecca est la capitale de l’Empire, un empire à la fois immuable car,
depuis trois cents ans, règnent à tour de rôle les trois incarnations -
Markinos, Théodoï et Lucien - de l’Empereur Stephen Dorminikos, et
déchiré car les incarnations deviennent de plus en plus paranoïaques.
Et, dans les bas-fonds de la ville, ce qui est en bas étant comme ce qui
est en haut, règne la Famille, l’ensemble des bandes et clans de la
pègre, regroupés autour de chefs divers dans chaque quartier ("cordon"
dans le roman), sous l’autorité des "princes gris" depuis que l’Empereur
a fait exécuter le premier et le seul "roi noir". Toute une hiérarchie
existe au sein de la canaille qui parle un langage particulier et
fleuri, qui ne constitue pas l’un des moindres attraits du roman.
Drothe, "nez" (c’est-à-dire informateur chargé de faire le tri dans les
rumeurs) du chef de gang Nicco, et trafiquant occasionnel de reliques
impériales (activité criminelle à haut risque...), va remonter la piste
d’un livre qui semble attirer l’attention de nombreux personnages
puissants et laisse dans son sillage une traînée de cadavres. Petit à
petit, aidé de son ami Bronze Dégane (combattant d’élite d’un ordre
mercenaire) et du puissant magicien à gages djanais Jelem, il va se
retrouver à son corps défendant acteur manipulé et manipulateur de la
chasse au journal d’Ioclaudia, l’une des magiciennes du dernier Empereur
unique, journal qui recèle apparemment des secrets si vitaux que rien
ne peut se mettre en travers de son acquisition. Cela nous donne près de
500 pages d’une action serrée, où l’auteur met en scène non seulement
les principaux protagonistes déjà cités mais aussi toute une galerie de
personnages d’une densité impressionnante, que ce soit Christiana,
ex-courtisane devenue baronne et soeur de Drothe, Kells, chef de gang et
ennemi juré de Nicco, et d’autres dont je ne vous parlerai pas afin de
ne pas vous dévoiler les ressorts de l’intrigue. L’auteur nous fait
aussi découvrir le petit peuple, que ce soient les travailleurs ou les
truands, coupe-jarrets et autres mendiants qui forment la lie mais aussi
la vie et l’âme de la cité. Tout cela contribue à rendre le roman très
réaliste, d’autant plus que nous découvrons petit à petit la complexité
et les rouages de cette société où l’usage de la magie est sévèrement
codifié et réprimé, où chacun connaît la place qui est la sienne et où,
comme dans toute société, le changement tend à faire peur. C’est aussi,
et surtout, une belle histoire humaine, celle de Drothe, ou comment
peut-on être un petit truand et un homme bien, "honorable" !
Je terminerai en soulignant le beau
travail de traduction de Florence Bury qui a su très bien rendre en
français l’argot de la pègre et le ton du roman voulu par l’auteur.
De la grande fantasy adulte, bien écrite et prenante, un auteur et un roman à découvrir.
Jean-Luc Rivera
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