Notre livre maudit est bien
évidemment devenu totalement international. Paraît en 2000, à l’instigation de
Philippe Pissier, une version polonaise du Necronomicon
[1], chez un éditeur spécialisé dans les ouvrages
ésotériques. A titre de curiosité,
voilà un extrait de la préface de Krzysztof
Azarewicz et Dariusz Misiuna (Gdansk-Warszawa-Londyn, automne 1999)[2]
Parmi
les livres sacrés de l’humanité, le
Necronomicon tient une place exceptionnelle, dans la mesure où il est
difficile de distinguer, dans son discours, le bien du mal, le sublime du
monstrueux et, plus étrange encore, le vrai du faux. La Bible, le Coran, la Kabbale, les Upanischads, voire le Livre des Morts, suggèrent plus
qu’ils n’expliquent, en projetant des faisceaux lumineux sur les ténèbres de
l’ignorance. Le Necronomicon se situe résolument ailleurs, manipulant des idées
qui, comme les ‘klifot’ [3], s’inscrivent
du côté ténébreux de l’Arbre de la Vie.
Dès lors les rationalistes sont-ils
rapidement désarmés, face à l’attrait exercé par le côté obscur de cet ouvrage
sur les audacieux qui veulent en percer le mystère, ou sur les déséquilibrés,
noyés dans un doute qui confine parfois à la folie. Nombre sont les légendes et
les rumeurs qui tentent de retracer l’histoire de ce livre. Mais les chercheurs
sont tous d’accord sur un point, à savoir qu’il est totalement impossible de
donner à ces écrits une interprétation définitive. Le Necronomicon offre en effet à l’imagination du lecteur un abîme
insondable, hors de portée de l’intellect humain. L’étudiant ne peut alors que
capituler et plonger dans la démence.
Aussi n’est-il pas surprenant
que l’auteur mythique de ce traité, l’Arabe Abdul Alhazred, ait eu également
l’esprit dérangé ! Celui qui a révélé l’existence de ce livre et qui l’a
inscrit dans l’histoire de l’imaginaire du XX ème siècle, Howard Philips
Lovecraft (1890-1937), encore appelé le reclus de Providence, était lui-même
issu de parents déments...... On peut dire sans exagération que cet écrivain
talentueux est né “un jour où le ciel a explosé ”, en une fin de siècle
qui était au carrefour des craintes et des espoirs de l’humanité. C’était
l’époque où les théories rationalistes, encore hier toutes puissantes,
n’étaient plus à même de combler le vide laissé dans l’imaginaire collectif par
l’effondrement de l’ordre technocratique. Après la chute de Dieu qui a marqué
le siècle des Lumières, et après l’échec de ceux qui avaient voulu installer
sur son trône les prêtres de la science, l’incertitude a commencé à s’infiltrer
dans les brèches de l’univers. Le doute a alors véhiculé les restes des anciens
mythes au profit d’esprits affamés de nourritures métaphysiques.
Lovecraft
a consacré l’essentiel de sa brève existence à écrire des contes très
suggestifs, à la fois ténébreux et gothiques. Le contenu de ses nouvelles était
très au-delà des frontières de la littérature d’horreur traditionnelle. Il y
traitait de sujets philosophiques concernant l’éternité de l’univers, la
puissance infinie du cosmos et la fragilité de l’existence humaine. Sous
couvert de littérature populaire, il diffusait en quelque sorte “ sous le
manteau ” des visions fondamentales que l’on retrouvera ultérieurement
sous la plume des existentialistes. Pour lui, les “ étrangers ”
n’étaient pas les hommes, mais d’obscures divinités très anciennes évoquées par
le Necronomicon. Un livre qu’il
qualifiera, du reste, “ d’odieux et de blasphématoire. ”
L’ensemble
des contes faisant appel à ces divinités est communément appelé “ Mythe de
Cthulhu ”, du nom de la créature la plus connue. Lovecraft a donné
beaucoup de détails sur cette mythologie, notamment dans l’une de ses
meilleures œuvres, “ l’Appel de Cthulhu ”. “ Des temps avaient
existé ou d’autres Choses avaient régné sur le Terre et où Elles avaient eu de
grandes cités. Leurs restes [….] pouvaient encore être retrouvés sous forme de
pierres cyclopéennes dans les îles du Pacifique. Toutes étaient mortes à des
époques très lointaines, avant l’arrivée de l’homme, mais il existait des
procédés magiques qui permettaient de les faire revivre quand les étoiles
auraient retrouvé les positions qui convenaient dans le cycle de l’éternité.
Elles étaient, à vrai dire, venues elles-même des étoiles et avaient apporté
Leurs représentations avec elles sous forme de figurines ”.
Lovecraft écrit que :
“ Ces Grands Anciens n’étaient pas entièrement faits de chair et de
sang ; Ils avaient une forme, mais cette forme n’était pas faite de
matière” Et quant à leur retour : “ Cependant, bien qu’ils n’aient
plus été en vie, Ils ne mouraient jamais vraiment. Ils demeuraient tous dans
leurs maisons de pierre de la grande cité de R’Lyeh, préservés par les charmes
du puissant Cthulhu et attendant une résurrection glorieuse, au moment où les
étoiles et la terre seraient une fois de plus prêtes pour Eux. Alors, pourtant,
il faudrait qu’une force intervienne de l’extérieur pour libérer Leurs corps.
[…] Ce culte ne disparaîtrait qu’au moment où les étoiles seraient à nouveau
comme il le fallait et que les prêtres secrets pourraient aller chercher le
Grand Cthulhu dans sa tombe pour qu’il redonne vie à Ses sujets et Se remette à
gouverner la terre. Il ne serait pas difficile de savoir quand ce temps serait
venu car, alors, l’humanité serait tout à fait semblable aux Grands
Anciens ; libre et fougueuse, au-delà du bien et du mal, les lois et les
morales rejetées, tous ses membres criant, tuant, se divertissant joyeusement.
C’est alors que les Anciens, libérés, leur enseigneraient de nouvelles manières
de crier et tuer, de se divertir et de jouir de leur existence ; puis
toute la terre s’enflammerait dans un holocauste d’extase et de liberté. En
attendant, le culte, par des rites appropriés, devait maintenir vivant le
souvenir de ces voies anciennes et faire pressentir la prophétie qui annonçait
leur Retour”. Et c’est exactement le rôle du Necronomicon, recueil de légendes
et de rituels, que de préserver la mémoire de ces divinités effrayantes.
Toutes les allusions de Lovecraft à ce
livre ont bien évidemment intrigué ses amis et ses lecteurs, sans parler des
milieux occultistes. On se demandait légitimement quelles étaient les sources
de l’auteur et s’il pouvait confirmer l’authenticité du manuscrit. Et au grand
étonnement de tous, il a à maintes reprises affirmé que l’ouvrage n’existait
pas et qu’il n’était rien d’autre que le produit de son imagination. Ceci dit,
il a collationné de nombreux éléments supposés, afin d’établir l’histoire du Necronomicon. …
Il n’est en conséquence pas étonnant
que, malgré les dénégations de Lovecraft, beaucoup de chercheurs dans le
domaine de l’insolite se soient mis à investiguer sur le mystérieux manuscrit.
Et même si Lovecraft a avoué que le nom de l’auteur du Necronomicon, Abdul Alhazred, n’était rien d’autre que l’une de ses
inventions d’enfance, inspirée par la lecture des “Mille et une Nuits”, les
passions s’exacerbèrent…..
[1] Cet ouvrage est édité par Wydawnictwo FOX
s.c., ul. Braniborska 70, 53-680 Wroclaw, pour la collection Wiedzy Tajemnej.
Web : www.fox.com.pl
[2] Traduction en français
d’Agnès Rivendal.
[3] “ Carapaces ”. Les Gardiens des 22 tunnels
de Set se situent de l’autre côté de l’Arbre de Vie. Ce sont les équivalents
négatifs des énergies cosmiques positives contenues dans les sephiroths, c’est
à dire dans les 10 sphères de l’Arbre de Vie cabalistique.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire