Archives secrètes du Prieuré de Sion présentées par Jean-Pierre Deloux. Éditions L’œil du
Sphinx, 36-42 rue de la Villette, 75019 Paris – France.
Ces documents inédits proviennent de Pierre Plantard
qui les confia en 1983, pour publication, à Jean-Pierre Deloux (1944-2009). A
l’époque, le projet ne put aboutir.
Pierre Plantard, personnage pour le moins ambigu,
fonda le Prieuré de Sion, sous la forme d’une association, en 1956, et le mythe
qui l’accompagne. Pour cela, il n’hésita pas à puiser dans l’histoire, à la
tordre pour ses objectifs et à produire de faux documents. L’invention du mythe
moderne du Prieuré de Sion est tout à fait passionnante et significative aussi
des attendus de notre société aliénée. Pierre Plantard, malgré quelques revers
et erreurs, orchestra magistralement la naissance et le développement de ce
mythe qui intègre l’affaire de Rennes-le-Château ou plus exactement les « affaires »,
et la question mérovingienne.
Jean-Pierre Deloux, qui a bien fréquenté l’homme au
côté de Gérard de Sède, n’est pas dupe :
« Force nous est faite d’admettre qu’il est la
principale source de l’affaire et qu’à lui seul (ceci étant pour ceux qui dénient
toute existence au Prieuré), il a créé un mythe moderne fédérateur de nos
interrogations qui n’a pas fini de faire couler de l’encre ou de faire tourner
le celluloïd.
Affabulateur, mythomane, peut-être ? Et encore,
cela reste à prouver. Manipulateur, inventeur et mythographe : assurément.
Quant à ses compétences en hermétisme, le lecteur va
pouvoir juger sur pièces. »
Certes les définitions de l’hermétisme sont
nombreuses, du néologisme du XIXème siècle, presque synonyme d’occultisme ou
d’ésotérisme, à la définition plus stricte faisant référence aux écrits
attribués à Hermès Trismégiste et qui concernent l’alchimie, l’astrologie, la
magie, la philosophie, la théologie. Si nous prenons cette dernière définition,
celle qu’il conviendrait d’employer, on ne peut que constater la pauvreté du
propos. Si nous prenons le terme dans son acception en vogue encore
aujourd’hui, les textes proposés ne sont pas inintéressants d’un point de vue
historique et culturel par les liens qu’ils proposent.
« Ces textes, précise Jean-Pierre Deloux, quand
ils furent rédigés, n’avaient pas pour but d’être diffusés. Ceux que nous
publions sont, selon toute vraisemblance, une très modeste part d’un ensemble
bien plus vaste, que Plantard qualifiait d’archives du prieuré de Sion. Ces
travaux sont contemporains de la « période Plantard ». »
Jean-Pierre Deloux a organisé ces textes par thème,
facilitant ainsi la lecture et stimulant l’intérêt du lecteur. Les textes,
souvent courts, parfois de simples notes, abordent l’histoire, la symbolique ou
les mythologies. Ils sont typiques de la période de Pierre Plantard, d’autres
personnages ayant procédé de même à une époque où il était difficile d’accéder
aux sources.
« Ces documents, nous dit encore Jean-Pierre
Deloux, permettent de se faire une idée de la culture, des connaissances
étendues de leur auteur, et surtout des modes de penser particulier à
l’hermétisme. Pierre Plantard qualifiait ces textes de rêveries. Ils
font effectivement référence à une pensée qu’on laisse divaguer volontairement
durant le rêve éveillé, à un passage volontaire du coq-à-l’âne par le biais de
jeu de mots et d’associations libres. Ce mode participe de la pensée analogique
et de l’interaction ludique des symboles, qu’on ne pratique guère aujourd’hui. »
Si nous sommes loin de la rigueur de l’hermétisme en
son sens le plus strict, y compris de la Langue des oiseaux qui est tout sauf
une rêverie, ce serait une erreur de rejeter ces textes. L’intérêt est d’un
autre ordre certes, mais il existe.
Exemple avec Le Prince Vert :
« Prince Vert est celui qui admire sa
superbe origine pour se proposer une fin plus superbe encore. Afin que ses
ancêtres descendent de lui, il renverse les arbres de la forêt généalogique
pour les dresser racines en l’air. Le peuple qui reconnaît sa révolte en
Thierry la fronde et Robin-des-Bois exige du Prince Vert la qualité
aristocratique et le droit de paraître en champ clos, croix rouge sous le tissu
vert de l’écu. Le peuple admire la prairie verte, buveuse de sang où se marient
le « sel de la terre » et la « sueur de ton front », mais à
une condition : que cet aristocrate n’ait pas de parents. »
Ce simple passage s’offre aux multiples dimensions de
l’interprétation : politique, sociétale, métaphysique, et même alchimique,
exceptionnellement. Les contributions sont qualitativement inégales mais la
plupart d’entre elles ne manquent pas d’intérêt. Bien entendu, elles ne
sauraient valider le montage opéré par Pierre Plantard, mais parfois, la poésie
transforme le rêve en songe.
Cet ouvrage, de belle facture, est sans doute l’un des
rares ouvrages intéressants sur le sujet.
Rémi Boyer
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