samedi 27 mai 2017

LES CHRONIQUES D'EL'BIB : CTHULHU RISING, Steve Dale & Con Vassilieff





Cthulhu Rising de Steve Dale et de Con Wassilieff est une petite curiosité. Un texte circulant sur internet et qui avait été traduit par un de mes correspondants pour publication dans la galaxie Dragon & Microchips. Ce que je ne ferai pas à l’époque, eu égard à la longueur du document. Je n’ai pas retrouvé sur la toile la trace de ce papier, ni de ses auteurs. Je le date de 1995, sans aucune certitude.
La véritable originalité de ce mini-roman est son thème : l’histoire du Necronomicon ! Un récit assez naïf - Cthulhu est une incarnation de Satan et seul Dieu peut le contrer -  mais plein de petites trouvailles amusantes. Abdul était un vieil érudit, très versé dans l’étude des sortilèges. Il était aidé par un prêtre de Sumer, Pazuzo, qui avait introduit dans le travail de son ami un rituel curieux, celui de l’ouverture des portes de la connaissance et de la sagesse. Alhazred rassembla son travail en un fort volume, le Al-Azif, sans se rendre compte que Pazuzo avait en fait injecté des invocations noires sous des titres anodins. Terminant la rédaction de l’ouvrage, il prononcera par mégarde la formule appelant Cthulhu. Deux voyageurs, attirés par le bruit, pénétreront dans la cabane de l’érudit dont ils retrouveront le corps sans vie. Ils ramasseront la pile de parchemins qui étaient sur son bureau et la remettront à un homme sage de Damas, Hassan Ben Abdul.
Celui-ci avait un jeune assistant, Ram, qui s’estimait exploité alors que Hassan devait assurer sa formation. Furetant dans la bibliothèque de son maître, il tomba sur le Al Azif, le Livre des Noms Morts et repéra des rituels susceptibles de lui donner la puissance nécessaire pour se venger d’Hassan. Il prit le livre et le matériel (cierges) nécessaire à la tenue du rituel et partit une nuit dans le désert pour invoquer la Puissance de La Nuit. Il sera rattrapé au dernier moment par Hassan qui, inquiet de son absence, était parti à sa recherche. Avec l’aide d’Allah, il pourra refermer la Porte et sauver Ram. Ils laisseront le Necronomicon dans le désert.
L’ouvrage fut récupéré dans le petit village d’Al-Qalibah par la fée Morgane qui avait réussi à le localiser grâce à ses pouvoirs magiques. Dévorée par l’ambition, elle prononça le rituel mais fut contrecarrée par la magicien Merlin et son ami le très chrétien Simon. La porte sera à nouveau refermée grâce à l’aide de Dieu, mais au prix de la vie de Mogane et de Simon. L’ouvrage maudit tomba ensuite entre les mains du Cardinal Grand Inquisiteur d’Espagne, Guitereras, mis sur la piste de son existence par Pazuzo… Il sera retrouvé dans une caverne près de Glastonbury. L’Inquisiteur le fera traduire en espagnol, enfouissant l’original en arabe dans les sous-sols de sa résidence. Il appellera Cthulhu, mais la créature diabolique sera repoussée par les prières de deux jeunes prêtres. Ceux-ci jetèrent la version espagnole du haut d’une falaise.
Le manuscrit, dans sa version arabe, fut retrouvée par John Dee dans les ruines du château du Grand Inquisiteur, sur les indications Pazuzo qui continue de traverser les siècles. Il entreprit de le traduire en anglais. Le rituel maudit lui sera subtilisé par un de ses amis, le Lord d’Essex, qui fomentait un complot contre la Reine Elisabeth Ier. Il sera surpris en train de réciter le rituel d’Ouverture de la Porte de la Connaissance, à la Puissance et à l’Illumination par John Dee et son ami Francis Bacon. John Dee mettra un terme à l’invocation en prononçant le rituel de protection trouvé à la fin du Necronomicon. Celui-ci, dans sa version arabe, sera jeté à la mer. La version anglaise sera conservée dans la bibliothèque de la Reine.
400 ans plus tard, la version arabe fortement endommagée par l’eau sera remise par… Pazuzo au Pr Eldred Mortimer de l’Université de Miskatonic. La version anglaise se trouve au British Museum et la version espagnole, quelque part dans une grotte inconnue près de Madrid.



Pour les biographes d’Abdul Alhazred, voici le tout début de ce petit ouvrage :
CHAPITRE I, 945 après Jésus-Christ, à Damas.

A plusieurs kilomètres au sud de la grande cité de Damas, au bord de la route As-Suwayda, se trouvait une cabane décrépite faite de pierres et de chaume. A la voir, on pensait qu’elle était en ruines, abandonnée. Mais tel n’était pas le cas....
Le vieil Arabe était assis à une table grossière, la tête dans les mains ... C’était presque terminé ! Tous ces jours et des semaines et des mois de travail ! Mais il devait terminer rapidement. Des voix dans sa tête se faisaient plus fortes, à cette heure, une en particulier et qui pour beaucoup deviendrait célèbre comme étant celle de « Cthulhu » ; et il devait se plier aux chants et aux sortilèges pour que les pouvoirs des Grands Anciens puissent être contrecarrés.
Abdul Alhazred avait étudié tout jeune le mysticisme, la magie, et la métaphysique, en questionnant à travers les terres de Palestine, de Syrie, de Cappadoce, et il avait voyagé loin, s’enfonçant au plus profond du vieux royaume de Babylone, en faisant même un long voyage de sept années dans la ville ancienne de Ur, en Chaldée, pour y consulter les hommes sages. Mais un homme l’aida plus que les autres. L’un des prêtres de Sumer, un nommé Pazuzo. Tous deux examinèrent beaucoup de sortilèges et Pazuzo considéra chacun d’entre eux minutieusement, changeant un mot ici, une prononciation là, accommodant chacun, disaient-ils, correctement. Le prêtre avait particulièrement porté ses efforts sur l’un d’eux :  l’ouverture des Portes de la connaissance et de la sagesse. Alhazred passa au crible le sortilège, et constata quelques différences entre les deux versions. Mais pour finir, sur l’insistance de Pazuzo, il choisit la version remaniée, et résolut de la conserver avec les autres ; une entreprise colossale, mais qu’il réussit à faire. En fin de compte, il avait terminé le travail, mais il se refusait à utiliser les chants, car il se considérait trop vieux (il avait soixante-trois ans, âge extrême à cette époque !). Aussi avait-il conservé nombre de ces chants et de ces sortilèges et avec beaucoup de courage, il avait commencé un livre qui les contiendrait tous, avec leurs descriptions et la manière de les utiliser. Il avait beaucoup et longuement réfléchi au titre du livre, et un soir qu’il écoutait les bruits de la nuit, Alhazred comprit qu’il tenait là son titre. Il revint vite à la première page et écrivit en travers : Al-Azif, le Livre des Noms Morts. C’était là le titre, et maintenant il fallait terminer aussi vite que possible. Dès que l’affaire avait été en route, Pazuzo avait pris congé. Alhazred avait été désolé de voir partir son ami, mais, avait-il pensé, chacun doit suivre sa destinée. Aussi avait-il dit adieu à l’homme et était-il retourné à sa tâche.
Et maintenant, il était sur le point de terminer Al-Azif. Il repensa à la formulation. L’ensemble n’était que belle poésie. Cela annihila presque en lui la terreur de ce qui pourrait arriver. Mais maintenant il devait avancer malgré la crainte et le désespoir qui menaçaient de le submerger ! Il tourna à nouveau la page et continua à écrire fiévreusement.
Pendant ce temps, deux voyageurs marchaient sur la route déserte pour aller prier au temple de Damas. Ils approchèrent de la cabane, en jetant des coups d’œil craintifs aux nuages menaçants qui s’amassaient, annonciateurs de tempête. Ils ne voulaient pas passer la nuit dans le désert. « La bénédiction soit sur cette maison ! » s’écria l’un d’eux selon la formule consacrée par l’usage, en poussant le rideau de perles et en entrant dans la première pièce, vide, mais il ne reçut pas de réponse. Ils entendirent alors gratter, comme le bruit fait par des souris en train de grignoter.  Ils réalisèrent qu’il s’agissait de quelqu’un en train d’écrire, et passant ainsi la porte intérieure, ils tombèrent sur le vieil Arabe. Ce dernier leur désigna un banc de bois, et continua à écrire ; les deux hommes s’assirent en se regardant, conscients qu’ils n’en obtiendraient pas davantage de cet étrange personnage tant qu’il n’aurait pas terminé son travail.
Il gémit soudain : « Ah ... les ombres ! ... Elles me cernent ! »
Comprenant qu’il se passait quelque chose de mauvais, les deux hommes avalèrent leur salive et se regardèrent, prêts à offrir leur aide, mais le vieillard leur fit signe de ne pas bouger. Alhazred avait presque terminé. La dernière phrase, puis le lignage. ‘Amen !’.
Sa plume s’éloigna des grands caractères arabes :
— J’ai fini ! Je ne peux faire plus ! L’avenir est dans tes mains, toi qui lira ces écrits ! 
Il trempa sa plume et commença à écrire son nom et son lignage. « Voici le livre du serviteur des dieux ... » C’est tout ce qu’il put écrire ! Le tonnerre retentit dans les cieux ! Il n’y avait que le rugissement de triomphe qui résonnait dans son crâne ! Dans cet état de terreur, il bondit de sa chaise, renversant les plumes et l’encrier sur le plancher ! C’était en train de se produire ! Dans un dernier sursaut de bon sens, Alhazred comprit qu’il avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour contrecarrer le mal des Sans Nom. Mais une réelle terreur lui étreignait le cœur. 
— Oh, dieu et déesse ! hurla-t-il, « Sauvez-moi des pouvoirs des Grands Anciens, et des horreurs de l’Au-Delà ! » Mais la voix rugit, tonitruante : « TON DIEU ET TA DEESSE NE T’AIDERONT PAS MAINTENANT ! beuglait-elle, « MOI, CTHULHU, J’AI GAGNE ! SACHE-LE, MORTEL REDUIT AU DESESPOIR ! LES CHANTS ET LES SORTILEGES QUE VOUS AVEZ SI MINUTIEUSEMENT ECRITS, LOIN DE ME CONTRAINDRE, ME LIBERERONT ! MON FIDELE PAZUZO A MODIFIE LA FORMULATION DES CHANTS ! ET CELA A CHANGE LEURS SIGNIFICATIONS ! SI UN DE TA RACE VEUT LES PRONONCER, IL FERA TOURNER LA CLE DE LA PORTE POUR LES ESPACES EXTERNES ! UNE FOIS OUVERTE, ELLE NE POURRA PLUS JAMAIS ETRE REFERMEE ! TU AS CONDAMNE TOUTE CETTE PITOYABLE RACE HUMAINE A LA DESTRUCTION ! ». La vois rugissait, tonitruante, et, avec un hurlement de désespoir, l’Arabe essaya d’atteindre la pile de manuscrits dans une tentative désespérée de détruire ce qu’il avait écrit. Mais c’était trop tard. Le cœur d’Alhazred le lâcha, et il s’effondra. Pendant de longues minutes, les deux hommes restèrent terrifiés, regardant le visage immobile, tandis qu’au-dessus d’eux, la tempête était à son paroxysme. Rien ne bougeait dans la pièce striée d’éclairs saisissants. Et le fracas de l’orage s’atténua en fin de compte en roulements confus à l’horizon. Alors, en hésitant, ils s’approchèrent du corps ; l’un d’eux le toucha du bout du pied. Il n’y eut pas de réaction. « Il est mort ».
Un moment s’écoula durant lequel les deux hommes reprirent courage. Puis le second s’approcha de la table.
— Nous ne saurons jamais qui il était, dit-il, en montrant la dernière page inachevée, désormais striée d’un long trait de plume. 
— C’est peut-être mieux comme ça, répliqua l’autre dans un frisson.
Ils assemblèrent la pile de parchemins, et l’apportèrent à Damas à un homme sage nommé Hassan Ben Abdul, qui les attacha avec des lanières de cuir et les rangea dans sa bibliothèque. Puis ils enterrèrent le corps dans le sable, hors de la ville.
Et ce fut, pour autant qu’ils soient concernés, la fin du récit ... Mais pendant longtemps aucun des deux hommes ne put dormir du sommeil des justes.

Et là-bas, au plus profond de la bibliothèque du Sage, attendant qu’on le découvre, se trouvait l’Al-Azif, le Nécronomicon !


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