mercredi 31 mai 2023

LES CHRONIQUES D'EL'BIB : ALEISTER CROWLEY, Serge Hutin


 

Aleister Crowley, le plus grand des Mages modernes, Serge Hutin (Marabout 1973, rééditions Arqa 2006 et Camion Noir 2016).) J’ai beaucoup de sympathie pour cet ouvrage, d’abord parce que c’est la première étude en français sur AC, ensuite parce que la plume de Serge Hutin est fort agréable à lire. Il zappe sans cesse entre le premier et le second degré, montrant qu’il n’est pas dupe en laissant le lecteur le soin de se faire sa religion face aux affirmations les plus « folkloriques » du Mage. Certes l’ouvrage est daté – de nouveaux matériaux ayant été étudiés depuis – mais le portrait qu’il nous délivre est solide. Celui d’un être épris de liberté qui s’échappe du puritanisme familial ; celui d’un joyeux personnage n’ayant d’autres limites que celles de sa volonté – son faux suicide à la Bouche de l’Enfer est un monument ! - ; celui d’un infatigable chercheur, utilisant tous les moyens – même les plus hétérodoxes - pour traquer la matière divine. Cela passe en effet pour Crowley par la drogue, le sexe et la magie rituélique. D’où une légende noire qui se développera autour du personnage qui trouvera son point d’orgue dans une campagne de presse diffamatoire, fomentée certainement suite à des querelles internes par certains disciples du groupe de « Cefalù ». Revenons sur quelques points :

° On a coutume de dire que Crowley était homosexuel. Qu’importe, mais la biographie de Serge Hutin nous montre surtout que c’était un homme à femmes, à la recherche permanente de la partenaire idéale qu’il ne trouvera jamais (La femme écarlate ou la femme ultime chez Abellio !).

° Du reste, si le sexe joue un rôle important dans la vie et l’œuvre de Crowley, il ne signifie pas pour autant qu’il fut un partouzard déchaîné. Hutin consacre de belles pages à « la magie sexuelle » et au rôle de « l’extase » dans le processus de l’initiation.

° Quant aux accusations de magie noire, elles étaient faciles à étayer, en s’appuyant notamment sur les tentatives d’évocations démoniaques opérées par Crowley. Mais le biographe montre bien qu’il ne s’agissait pas de vendre son âme au diable, mais de tenter de contraindre les créatures à se plier à la volonté de l’opérateur.

° On fait des découvertes amusantes en parcourant la liste des personnes qu’il a côtoyées. Il avait pris à une époque comme collaborateur Georges Monti, ancien secrétaire de Péladan et selon certaines sources l’un des inspirateurs de Pierre Plantard dans l’affaire de Rennes-le-Château. Il rencontre également George Silvester Virek, un écrivain germano-américain chantre du nazisme. Pour l’anecdote, l’auteur Richard Lupoff met en scène ce personnage dans Lovecraft’s Book (Arkham House, 1985) et le charge de se rapprocher de l’Ermite de Providence afin que celui-ci rédige un pendant américain à Mein Kampf ! Dans les autres relations curieuses de Crowley, citons encore William Seabrook, auteur du célèbre ouvrage L’Ile Magique sur le vaudou haïtien, ou encore le Colonel anglais Fawcett, explorateur mystérieusement disparu dans le Mato Grosso tout comme bien sûr cet autre aventurier qu’était l’Amiral Bird.

° Le langage énochien est au cœur de la magie rituélique de la Grande Bête. Ce serait la langue utilisée par les anges pour communiquer avec John Dee par l’intermédiaire de son médium Edward Kelly. Elle sera reprise par la Golden Dawn qui l’aurait découverte dans le manuscrit Magie sacrée ou le Livre d’Abramelin le Mage [1]. Beaucoup de chercheurs s’interrogent sur l’authenticité de ce langage. Serge Hutin, avec humour, le compare à une langue extraterrestre. Il en cite une phrase qu’il qualifie de martienne, avec des sonorités qui font penser au son émis par un magnétophone dont on aurait mis la bande à l’envers.

° Quant au fait que Crowley ait été un agent secret au service de l’IS britannique, Serge Hutin prend clairement partie de façon positive. Cela expliquerait son agitation « pro nazie » lors de son premier voyage aux USA, question de donner le change. Cela permettrait aussi de comprendre certains « renflouages mystérieux » lors de plusieurs de ses dérapages financiers.



[1] Conservé à la Bibliothèque de l‘Arsenal à Paris.

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