samedi 26 juin 2021

LES CHRONIQUES D'EL'BIB : OPÉRATION AHNENERBE, Heather Pringle


 

 

 

Opération Ahnenerbe, Heather Pringle (Presses de la Cité, 2007). Un travail remarquable, tant il est vrai que la documentation sur « l’Institut pour la recherche des ancêtres » est assez maigre en langue française. Un exercice d’autant plus riche qu’il s’appuie sur de nombreuses sources dont le recensement (notes en fin de volume) représente pratiquement le tiers de l’ouvrage.

L’Ahnenerbe était un institut de recherches pluridisciplinaire nazi, créé par le Reichsführer-SS Heinrich Himmler, Herman Wirth et Walther Darré le 1er juillet 1935. Intégrée aux SS en janvier 1939, l'Ahnenerbe avait son siège à Munich. L'institut avait pour objet d'études « la sphère, l'esprit, les hauts faits et le patrimoine de la race indo-européenne nordique » avec comme outils la recherche archéologique, l'anthropologie raciale et l'histoire culturelle de la race aryenne. Son but était de prouver la validité des théories nazies sur la supériorité raciale des Aryens sur les races supposées inférieures ainsi que de germaniser les peuples qui occupaient le lebensraum nazi.

L’auteur montre, dès le départ, que les fondements idéologiques de l’Institut reposent… sur du sable. La notion de race est une invention assez récente (XVI ème siècle), créée plus pour semer de la confusion politique que pour illustrer une typologie qui n’a jamais été scientifiquement prouvée. Quant au terme aryen, il résulte notamment des travaux de linguistique comparée de James Parsons (XVIII ème siècle). Il s’agissait de rechercher les similitudes entre le sanskrit et les principales langues du monde. Certains utilisèrent pour le groupe identifié le terme d’indo-européen, d’autres d’aryen. Les continents du Nord (Hyperborée, Thulé) qui auraient abrité une race de légende sont pour leur part à classer dans la série « fiction ».

Cela dit, les dirigeants de l’Institut (Wirth, Sievers) se prirent volontiers au jeu, et la première période de l’Ahnenerbe (1935-1938) prête à sourire par sa couleur « Indiana Jones » marquée. On y croise de belles brochettes de scientifiques de haut niveau, disposant de budgets très confortables, faire le tour de la planète pour dénicher d’improbables gravures ariennes ou mesurer les crânes de populations tibétaines ahuries. Le déclenchement de la guerre fera basculer la machine du côté sombre de l’histoire, l’intégration de l’Ahnenerbe à la SS faisant d’elle un outil très actif de la politique raciale du Reich. Les « expériences médicales » sur les juifs prendront une grande ampleur afin de tenter de calmer Himmler qui voulait absolument démontrer scientifiquement qu’il s’agissait bien de « Untermenschen ». La collecte de crânes des victimes des camps de concentration ne suffit bientôt plus à alimenter les chercheurs et la SS mènera une véritable politique « d’abattoir » pour y remédier.

L’étude se termine par une analyse de la grande « débandade » qui suivra la capitulation et épingle une liste impressionnante de hauts responsables de l’Institut qui passeront entre les gouttes et retrouveront rapidement des postes prestigieux à l’Université. Avec toujours cette question lancinante : comment de tels profils, intelligents et bien éduqués, ont-ils pu se fourvoyer dans une telle boucherie au nom de pseudosciences ridicules ?

L’ouvrage montre par ailleurs que l’aventure de l’ésotérisme nazi reposait essentiellement sur les idées fumeuses de Himmler et que le Führer prit à plusieurs reprises ses distances vis-à-vis des démarches loufoques de son collaborateur. Nous n’avons rien à voir avec ceux qui ne comprennent le national-socialisme qu’en termes de rumeurs et de sagas, et qui le confondent donc trop facilement avec de vagues phrases nordiques et qui font maintenant porter leurs recherches sur les motifs d’une culture atlantéenne mythique…  (Nuremberg, septembre 1936).

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