jeudi 3 février 2022

LES CHRONIQUES D'EL'BIB : LES DERNIERS MYSTERES DE LOVECRAFT, Christian Doumergue

 


Avec Les Derniers Mystères de Lovecraft (L’Opportun, 2022), Christian Doumergue nous propose une véritable recherche sur ce qu’il est convenu d’appeler « le matérialisme ésotérique » du Maître de Providence. L’auteur s’appuie solidement sur les fondamentaux bien connus de l’auteur américain (matérialisme, athéisme, indifférentisme, cosmicisme), mais en s’interrogeant sur la place prise par l’ésotérisme dans son œuvre. Un travail fouillé sur ce sujet avait déjà été effectué par l’universitaire John L. Steadman, H.P. Lovecraft ad the Magical Tradition (Weiser books) en 2015. Doumergue adopte une démarche similaire et commence par l’étude du contexte ésotérique de l’époque susceptible d’avoir inspiré le Prince Noir. Une analyse bien articulée nous est proposée sur la Société Théosophique, tant il est vrai que beaucoup de thèmes de Blavatsky se retrouvent chez notre écrivain : races pré-humaine, continents disparus, livres mystérieux comme Les Stances de Dzyan. Mais c’est sur le sujet du « réservoir astral » que s’attarde le plus notre chercheur : il existerait une sorte de continuum dans lequel se retrouveraient les éléments de notre passé et de notre futur et que certains esprits « éveillés » pourraient visiter. Ce sont les légendaires « archives akashiques », mais aussi les fameux archétypes popularisés par C.G. Jung. On flirte aussi avec la noétique devenue très à la mode dans certains secteurs de la recherche sur la conscience. L’auteur de Providence, en compagnie de E.T. Price, développera cette théorie dans A travers les Portes de la Clef d’Argent (1932), évoquant, sous prétexte des voyages astraux de Randolph Carter, la théorie de « l’archétype universel » (on n’est pas loin du « Grand Architecte de l’Univers » !).

Et c’est par le canal du rêve que l’essayiste va préciser sa recherche. Il est vrai que Lovecraft a été particulièrement clair sur le sujet : Je me suis souvent demandé si la majeure partie des hommes ne prend jamais le temps de réfléchir à la signification formidable de certains rêves, et du monde obscur auquel ils appartiennent. Sans doute nos visions nocturnes ne sont-elles, pour la plupart, qu’un faible et imaginaire reflet de ce qui nous est arrivé à l’état de veille (n’en déplaise à Freud avec son symbolisme puéril) ; néanmoins, il en est d’autres dont le caractère irréel ne permet aucune interprétation banale, dont l’effet impressionnant et un peu inquiétant suggère la possibilité de brefs aperçus d’une sphère d’existence mentale tout aussi importante que la vie physique, et pourtant séparée d’elle par une barrière presque infranchissable. (Par-delà le Mur du Sommeil, 1919). L’analyse de l’œuvre de Lovecraft par le biais du rêve est bien menée, et il est vrai qu’il y a dans les relations faites par l’auteur de ses « incursions », on trouve beaucoup de choses qui n’ont rien à voir avec le recyclage banal d’événements vécus par le sujet. De là à se demander s’il n’avait pas accès, peut-être inconsciemment aux terres situées derrière le Miroir. Doumergue, étudiant l’influence du peintre Roerich sur le Prince Noir, cite cette curieuse correspondance envoyée juste avant sa mort (James Morton, mars 1937) : Il y a quelque chose dans sa façon de traiter la perspective et l’atmosphère qui a mes yeux suggère l’existence d’autres dimensions, de formes étrangères d’existence – ou du moins de passages y conduisant. Ces fantastiques pierres sculptées dans les déserts des hautes terres dépeuplées ! Ces lignes de sinistres cimes déchiquetées, presque vivantes, par-dessus tous ces étranges édifices cubiques accrochés à des pentes escarpées et couronnant ces sommets interdits, pointus comme des aiguilles ! »

Et notre chercheur, continuant à dévider la pelote, s’interroge sur l’importance de l’antiquité romaine dans la thématique de Lovecraft. Ses références à ce passé sont nombreuses, précises et reflètent une passion viscérale au point que l’auteur s’assimile volontiers à un guerrier de l’époque. Le prétexte est tout trouvé chez Doumergue pour évoquer – avec prudence – l’hypothèse d’une réincarnation ! L’essayiste en revanche ne cherchera pas à nous faire croire à l’existence du Necronomicon et tordra le cou à une influence supposée de Crowley par le biais de Sonia Greene. Ouf !

Un bon travail auquel il manque peut-être une analyse fouillée de La Maison de la Sorcière, la physique quantique et de façon plus générale « les Mathématiques de l’Impossible » étant aussi des vecteurs importants pour l’accès à d’Autres Dimensions.

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