Le
Necronomicon (1936/37 env, James Vernon Shea, in Dragon & Microchips no 14, 1998). L’auteur était un lovecraftien passionné qui
nous propose un texte, revu par Lovecraft, qui restera longtemps « sous
les radars ». Il n’a jamais été publié et c’est Jean-Louis Sarro qui nous en
a remis une copie dactylographiée que nous avons punlié, sous une traduction de
Christophe Thill, dans D&M. L’éminent
lovecraftien Dan Clore le reprendra sur son site internet.
La nouvelle met en scène Lovecraft, sous
le nom d’Edward Stowescroft, alors âgé de 46 ans. C’est un gentilhomme cultivé,
doté de vastes connaissances, qui vit avec sa tante après un divorce à
l’amiable. Il a une rigueur très « militariste », un penchant pour
l’idéologie fasciste, entretient une incroyable correspondance et écrit sur des
sujets flirtant avec la magie noire. Le Necronomicon
a été son invention la plus réussie. Bien qu’il s’agisse d’une fiction, son
auteur n’en plaisantait jamais, eu égard aux circonstances de sa création.
L’idée
de ce livre lui était venue dans des circonstances qui avaient hanté sa mémoire
pour toujours par la suite. Toute sa vie, il avait été sujet aux cauchemars les
plus effrayants ; en fait, plusieurs de ses rêves les plus frappants lui
avaient fourni des idées pour ses histoires. Une nuit, il avait rêvé, et savait
qu’il rêvait, et pourtant la conscience d’être assoupi ne le tira pas de son
sommeil, contrairement à ce qui se passe presque toujours. Son rêve était si
terrifiant qu’il lutta pour se réfugier dans l’éveil et s’aperçut qu’il ne le
pouvait pas. D’une certaine façon, il sut que s’il ne se réveillait pas
immédiatement, il n’y aurait plus d’Edward Stowescroft pour regagner le monde
des vivants. Le côté militaire de sa nature ne voulait pas tolérer une
capitulation aussi abjecte ; et, à force de tentatives acharnées, il
parvint à se libérer – pour se retrouver, non dans son lit, mais dans un cimetière
abandonné de Providence, auprès d’une tombe dont les pierres qui s’effritaient
donnaient l’impression d’avoir été récemment remuées. Et dans son esprit se
trouvait, ineffaçable, l’idée du livre, et même son nom. Il s’en était emparé
pour ses histoires, car une grande partie de la réussite d’un conte fantastique
dépend du choix de symboles frappants au nom sinistre, comme Bethmoora que
fuient les lions chez Dunsany, comme le Signe Jaune de Chambers, comme les
lettres[1]
Aklo de Machen – mais il dut s’avouer à lui-même que cette appropriation le
mettait un peu mal à l’aise.
… ce livre était connu
de son grand-père, et son grand-père, après en avoir parlé à voix basse, avait
fait le signe de la croix.
… Était-il
possible que le livre existe réellement quelque part, et que par une forme
mystérieuse de communication, il en ait eu connaissance dans ses
cauchemars ? Et, en admettant cette hypothèse invraisemblable, comment
pourrait-il le trouver et en exorciser les maléfices ?
Lovecraft utilisera cet ouvrage dans
nombre de ses nouvelles alors que ses amis et correspondants se l’approprieront
dans leurs propres œuvres, toutes publiées pour l’essentiel dans un pulp bon
marché. Un jour cependant, l’auteur fit passer dans la dite revue une note
demandant à toutes ses relations de cesser d’utiliser le livre maudit. Panique
dans les rangs du « Circle » qui amènera l’un des ses membres,
Lounger Jr (lire F.B. Long) à rendre visite à l’Ermite. Il retrouvera un vieil
homme, persuadé de sa fin prochaine, qui lui déclarera :
J’ai
acquis la conviction que le Necronomicon est plus réel que je ne l’avais supposé. Mais comment est-ce
possible ? c’est comme si Cervantès était hanté par le fantôme de Don
Quichotte. Cependant, si je devais accorder foi au Yoga et à toutes ces
absurdités extrême-orientales, je pourrais croire que la mention répétée du Necronomicon a créé bien plus qu’une simple image
mentale. Les Yogas enseignent qu’à force de concentration, bien des choses
peuvent acquérir une forme solide.
Troublé et décidé d’en avoir le cœur net,
il ira consulter un prêtre à l’église de Federal Hill et tracera dans sa
chambre un cercle, avec à proximité de main un rosaire, un flacon d’eau bénite
et un pistolet. Il évoquera Nyarlathotep qui commencera à prendre forme malgré
son imprécation : Va t’en, c’est moi
qui t’ai imaginé !
Suite au bruit d’un coup de feu, sa tante
se précipitera dans sa chambre ; elle ne retrouvera que les vêtements de l’écrivain,
son corps ayant disparu.
[1] Annotation de HPL :
« rituels ? » (en fait il s’agit bien des lettres Aklo ; cf
Arthur Machen, Le Peuple blanc)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire