(Province imaginaire médiévale dans l’œuvre de Clark Ashton Smith)
1. Introduction générale
Averoigne est
une province fictive créée par l’écrivain américain Clark Ashton Smith
dans les années 1930. Située dans une France médiévale idéalisée, hors
de toute localisation précise mais évoquant les paysages de l’Auvergne, du
Gévaudan et du Velay, elle constitue l’un des univers littéraires les plus
aboutis du cycle « médiéval fantastique » de Smith.
À la différence des terres lovecraftiennes ou des royaumes hyboriens d’Howard,
Averoigne se caractérise par :
- une géographie religieuse fortement marquée par le catholicisme,
- une présence active de la magie,
- une esthétique gothique et sensuelle,
- un rapport ambigu entre institutions humaines et forces surnaturelles.
Le cycle d’Averoigne explore les tensions entre spiritualité, tentation, savoir interdit et violence métamorphique, inscrivant la province dans une tradition de fantastique médiéval hybride, entre Chrétien de Troyes, Huysmans et un baroque noir propre à Smith.
2. Origines et genèse littéraire
Smith élabore Averoigne dès le début des années 1930, période tardive de son œuvre poétique et narrative. L’ensemble du cycle reflète :
- son fascination pour la France médiévale et rurale,
- sa sensibilité symboliste et néo-gothique,
- une volonté de produire un fantastique ancré dans les structures culturelles européennes, contrairement aux créations plus « américaines » de Lovecraft.
Smith s’inspire de traditions françaises :
- légendes de loups-garous,
- récits hagiographiques,
- mythes forestiers préchrétiens,
- folklore du diable et des sorciers.
Ainsi, Averoigne constitue un espace littéraire où histoire, religion et magie se rencontrent.
3. Géographie générale de la province
Les descriptions convergent vers une province densément boisée et relativement isolée :
3.1. La Forêt d’Averoigne
Élément central et structurant, la forêt est décrite comme :
- ancienne, profonde et labyrinthique,
- siège de sorcelleries, de bêtes métamorphiques et d’entités indéterminées,
- frontière vivante entre la civilisation chrétienne et les forces archaïques.
Elle n’est pas seulement un décor : c’est une entité narrative.
3.2. Villes et localités principales
- Vyônes : capitale de la province, centre religieux avec une cathédrale gothique imposante.
- Ximes : ville secondaire liée à divers épisodes magiques et intrigues sorcières.
- Perigon : abbaye majeure, siège de luttes doctrinales contre les pratiques occultes.
- Ylourgne : site de la célèbre nécropole utilisée dans The Colossus of Ylourgne.
- Sylaire, Les Hiboux, La Fosse : villages satellites, chacun porteur de mythologies particulières.
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4. Architecture, institutions et culture
4.1. Architecture religieuse et civile
Averoigne se distingue par un patrimoine architectural riche :
- cathédrales gothiques,
- abbayes fortifiées,
- tours sorcières aux formes ambiguës,
- châteaux féodaux en déclin.
L’architecture
est un vecteur de symbolisme :
le gothique représente l’ordre chrétien ;
le roman et les ruines préchrétiennes, les forces archaïques.
4.2. Institutions religieuses
Les moines et
évêques y occupent un rôle central.
Leur lutte contre la magie est constante, mais jamais entièrement victorieuse.
La doctrine y oscille entre orthodoxie, superstition et pragmatisme occulte.
4.3. Culture populaire
Les paysans vivent entourés de récits de :
- loups-garous,
- sorciers,
- revenants,
- démons
sylvestres.
Le folklore occupe ainsi une place quasi documentaire dans la construction de l’univers.
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5. Bestiaire et phénomènes surnaturels
5.1. Métamorphoses et lycanthropies
L’un des
thèmes majeurs du cycle.
Smith décrit la lycanthropie non comme un mythe populaire, mais comme un
mécanisme réel, souvent déclenché par malédiction ou corruption morale.
5.2. Sorcelleries et enchantements
Loin des abstractions lovecraftiennes, la magie d’Averoigne :
- possède des rituels,
- implique des objets (talismans, grimoires),
- peut être contrée par des symboles religieux,
- est pratiquée autant par des hommes que par des femmes.
5.3. Entités indéterminées
Certaines
créatures ne relèvent ni du démoniaque classique, ni du monstrueux cosmique.
Smith cultive volontairement l’ambiguïté :
formes de brume, présences forestières, ombres animées…
6. Thématiques majeures
Averoigne s’articule autour de plusieurs lignes de force :
6.1. Tension entre christianisme et paganisme
La province est un champ de bataille idéologique et spirituel.
6.2. Érotisme et corruption
La tentation y
est omniprésente :
les enchanteresses, les métamorphoses, les séductions maudites.
6.3. Le temps immobile
Averoigne semble figé dans un Moyen Âge éternel, où passé, tradition et superstition continuent de régir les rapports sociaux.
6.4. Tragédie et fatalité
Les héros d’Averoigne sont souvent entraînés vers un destin funeste, comme pris dans un mécanisme antique.
7. Corpus principal des nouvelles
Parmi les récits canoniques :
- The Holiness of Azédarac (1933)
- The Beast of Averoigne (1933)
- The Colossus of Ylourgne (1934)
- The Maker of Gargoyles (1932)
- The Enchantress of Sylaire (1941)
- A Rendezvous in Averoigne (1933)
Chaque texte révèle une facette différente : politique, religieuse, magique, ou sensuelle.
8. Averoigne dans les études lovecraftiennes
Averoigne occupe une place singulière dans ce que l’on nomme parfois le “Mythe élargi” :
- pas de Grands Anciens,
- pas de cosmologie tentaculaire,
- mais une continuité thématique : l’indifférence du monde, les conséquences du savoir interdit, l’altération de l’identité.
Plusieurs correspondances indirectes existent avec Lovecraft :
- fascination pour les ruines,
- rapport trouble à la connaissance,
- coexistence de croyances humaines et de forces non humaines.
Le cycle est souvent étudié comme un contrepoint esthétique à la froideur cosmique lovecraftienne : un monde plus charnel, plus terrestre, mais tout aussi fatal.
9. Perspectives de recherche
Averoigne est un terrain riche pour :
- les études sur la géographie imaginaire,
- l’analyse des mythologies médiévales recomposées,
- les interactions entre fantastique européen et weird fiction américaine,
- la réception du Moyen Âge dans la littérature du XXᵉ siècle.
Des travaux récents s’intéressent notamment à :
- la dimension éco-mythologique de la Forêt d’Averoigne,
- la gothique morale des récits,
- la construction d’un Moyen Âge sensuel et décadent, unique dans la fantasy américaine.





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