-->
Roman – Le Dieu du Labyrinthe
(1970, Belles Lettres 2004). Colin Wilson n’est pas à une provocation près,
et dans une interview au Guardian, il
avouait être fétichiste, fasciné par les petites culottes. Et de nous livrer un
ouvrage étonnant, mélange entre le pornographique Ma Vie Secrète, les enquêtes littéraires du Club Dumas et ses réflexions récurrentes sur l’élargissement de la
conscience. Le narrateur est Gérard Sorme, un de ses « héros »
préférés, écrivain et auteur du Journal
érotique de Gérard Sorme. Un clin d’œil à son propre ouvrage, Man Without a Shadow (US title The Sex Diary of Gerard Sorme,
1963, reprinted by Valancourt
Books, 2013). L’écrivain
se voit commander par son éditeur une étude-préface à un manuscrit érotique
qu’il aurait déniché, Mémoires d’un libertin irlandais, écrit par un certain Esmond Donelly.
Commence alors une recherche passionnée pour cerner l’œuvre et la personnalité
de cet auteur méconnu (…. – 1832). Manuscrits retrouvés dans de vieilles
demeures familiales, correspondances entre le libertin et ses amis tout aussi
libertins, souvenirs et anecdotes rapportés par les descendants de Donelly,
tout cela forme un matériau très riche dans lequel Gérard Sorme va se plonger,
entre quelques parties de jambes en l’air avec ses interlocutrices de
passage ! Sa plongée dans l’univers de Donelly prendra du reste un aspect
fusionnel au point qu’il finira par parfois s’identifier au personnage qui
semble chercher à le possèder. Il ressort de l’enquête que Donelly était un
brillant érudit, passionné par le sexe en tant que moyen de réalisation de
soi-même et vecteur de libération de la conscience. Il faisait partie d’une
société très discrète, la Secte du Phénix, groupuscule créé par J.L. Borgès
dans une de ses nouvelles (cf infra). Mais cette secte, pour Donelly, est
essentiellement un cénacle de fins connaisseurs recherchant la libération par le
sexe. Elle existe toujours actuellement et Sorme réussira à se faire convier à
l’un de leurs séminaires. Et de nous décrire une cérémonie épicée qui n’est pas
sans évoquer la fameuse « Messe Rouge » de Eyes Wide Shut de Stanley Kübrick (1999).
Colin Wilson expliquera sa démarche dans une postface. Il est
rigoureusement contre toute forme de censure, et la pornographie a droit de
cité comme toute autre littérature. Mais il ajoute que si l’ouvrage n’est
qu’une collection de coïts de passage, comme Ma Vie Secrète, il s’agit d’une littérature qui ne débouche sur
rien, sinon sur l’ennui. Le sexe est un moyen de doper l’énergie vitale et
d’ouvrir l’esprit, afin d’accéder à ce qui restera son leitmotiv tout au long
de son œuvre, à savoir aux niveaux supérieurs de la conscience.
La Secte du Phénix
(Jorge Luis Borges,
in Fictions (Ficciones) ; titre original : La Secta del Fénix)
Ceux qui écrivent que la secte
du Phénix eut son origine à Héliopolis, et qui la font dériver de la
restauration religieuse qui succéda à la mort du réformateur Aménophis IV,
allèguent des textes d'Hérodote, de Tacite et des monuments égyptiens. Mais ils
ignorent, ou veulent ignorer, que la dénomination de Phénix n'est guère
antérieure à Hrabano Mauro, et que les sources les plus anciennes (disons les Saturnales ou Flavius Josèphe)
parlent seulement des Gens de la Coutume ou des Gens du Secret. Grégorovius
avait déjà observé, dans les petits couvents de Ferrare, que la mention du
Phénix était rarissime dans le langage oral. À Genève, j'ai conversé avec des
artisans, qui ne me comprirent pas quand je leur demandai s'ils étaient des
hommes du Phénix ; mais ils admirent sur-le-champ qu'ils étaient des
hommes du Secret. Sauf erreur de ma part, il en est de même pour les bouddhistes :
le nom sous lequel le monde les désigne n'est pas celui qu'ils prononcent.
Miklosich, dans une page trop
fameuse, a comparé les sectaires du Phénix aux gitans. Au Chili et en Hongrie,
il y a des gitans et aussi des sectaires : hormis cette sorte d'ubiquité,
les uns et les autres ont très peu de chose en commun. Les gitans sont
maquignons, chaudronniers, forgerons, ou diseurs de bonne aventure ; les
sectaires exercent avec bonheur les professions libérales. Les gitans
configurent un type physique et parlent, ou parlaient, une langue
secrète ; les sectaires se confondent avec les autres hommes, comme le
prouve le fait qu'ils n'ont pas été persécutés. Les gitans sont pittoresques et
inspirent les mauvais poètes ; les romances, les chromos et les boleros
omettent les sectaires… Martin Buber déclare que les juifs sont essentiellement
pathétiques ; tous les sectaires ne le sont pas, et quelques-uns abominent
le pathétisme ; cette vérité publique et notoire suffit à réfuter l'erreur
vulgaire (absurdement soutenue par Urmann) qui voit dans le Phénix une
dérivation d'Israël. Les gens raisonnent à peu près ainsi : Urmann était
un homme sensible ; Urmann était juif ; Urmann fréquenta les
sectaires dans la juiverie de Prague ; l'affinité que sentit Urmann prouve
un fait réel. Sincèrement, je ne peux pas admettre cette opinion. Que les
sectaires, dans un milieu juif, ressemblent aux juifs, cela ne prouve
rien ; le fait indéniable est qu'ils ressemblent, comme le Shakespeare
infini de Hazlitt, à tous les hommes. Ils sont tout pour tous, comme
l'Apôtre ; naguère le docteur Juan Francisco Amaro, de Paysandú, vanta la
facilité avec laquelle ils prenaient les habitudes créoles.
J'ai dit que l'histoire de la
secte ne consigne pas de persécutions. C'est vrai ; mais comme il n'y a
guère de groupe humain où ne figurent pas de partisans du Phénix, il est sûr
également qu'il n'y a pas de persécutions ou de cruautés dont ils n'aient été
les victimes ou les agents. Dans les guerres occidentales et dans les guerres
lointaines d'Asie, ils ont répandu séculairement leur sang sous des drapeaux
ennemis ; leur identification avec tous les pays du globe ne leur sert pas
à grand-chose.
Sans un livre sacré qui les
rassemble, comme les Écritures rassemblent Israël, sans un souvenir commun,
sans cet autre souvenir qu'est une langue, dispersés, à la surface de la terre,
différents par la couleur et les traits, une seule chose — le Secret — les unit
et les unira jusqu'à la fin des temps. Un jour, outre le Secret, il y eut une
légende (et peut-être un mythe cosmogonique), mais les hommes superficiels du
Phénix l'ont oubliée, et ils ne conservent aujourd'hui que l'obscure tradition
d'un châtiment. D'un châtiment, d'un pacte ou d'un privilège, car les versions
diffèrent et laissent à peine entrevoir la sentence d'un dieu qui assure
l'éternité à une race si les hommes de cette race, génération après génération,
exécutent un rite. J'ai compulsé les informations des voyageurs, j'ai conversé
avec patriarches et théologiens ; je peux certifier que l'accomplissement
du rite est la seule pratique religieuse observée par les sectaires. Le rite
constitue le Secret. Celui-ci, comme je l'ai indiqué, se transmet de génération
en génération, mais l'usage veut qu'il ne soit enseigné ni par les mères à
leurs enfants, ni par des prêtres ; l'initiation au mystère est l'œuvre
des individus les plus bas. Un esclave, un lépreux ou un mendiant sont
mystagogues. Un enfant peut également instruire un autre enfant. L'acte en soi
est banal, momentané et ne réclame pas de description. Le matériel est
constitué par du liège, de la cire ou de la gomme arabique. (Dans la liturgie
on parle de limon ; le limon est également utilisé.) Il n'y a pas de
temples consacrés spécialement à la célébration de ce culte ; mais des
ruines, une cave ou un vestibule sont considérés comme des lieux propices. Le
Secret est sacré, mais il n'en est pas moins un peu ridicule ; l'exercice
en est furtif et même clandestin, et ses adeptes n'en parlent pas. Il n'existe
pas de mots honnêtes pour le nommer, mais il est sous-entendu que tous les mots
le désignent ou, plutôt, qu'ils y font inévitablement allusion ; ainsi, au
cours du dialogue, j'ai dit quelque chose et les adeptes ont souri ou bien ils
ont été gênés, car ils ont senti que j'avais effleuré le Secret. Dans les
littératures germaniques il y a des poèmes écrits par les sectaires, dont le
sujet nominal est la mer ou le crépuscule du soir ; j'entends répéter que
ce sont, en quelque sorte, des symboles du Secret. Un adage apocryphe
enregistré par Du Cange dans son Glossaire
dit : « Orbis terrarum
est speculum Ludi. » Une sorte d'horreur sacrée empêche
quelques fidèles d'exécuter le rite très simple ; les autres les
méprisent, mais les premiers se méprisent encore davantage. En revanche, ceux
qui renoncent délibérément à la Coutume et obtiennent un commerce direct avec
la divinité jouissent d'un grand crédit ; pour manifester ce commerce, ils
utilisent des figures de la liturgie. Ainsi John of the Rood écrivit :
Sachent les Neuf Firmaments
que le Dieu
Est délectable comme le Liège
et le Limon.
J'ai mérité l'amitié de
nombreux dévots du Phénix dans trois continents. Je suis persuadé que le
Secret, au début, leur parut banal, pénible, vulgaire et (ce qui est encore
plus étrange) incroyable. Ils ne voulaient pas admettre que leurs ancêtres se
fussent rabaissés à de semblables manèges. Il est étrange que le Secret ne se
soit pas perdu depuis longtemps ; malgré les vicissitudes du globe, malgré
les guerres et les exodes, il arrive, terriblement, à tous les fidèles.
Quelqu'un n'a pas hésité à affirmer qu'il est devenu instinctif.
Traduction P.
Verdevoye
Les livres imaginaires
° De
la défloration des pucelles, Esmond Donelly, Berne, 1800
° Mémoires d’un libertin
irlandais, Esmond Donelly
° Journal d’Esmond Donelly,
Dublin, 1817
° Journal de voyage,
Esmond Donelly
° Observations sur la France
et la Suisse, Esmond Donelly
° Réfutation des théories du
Dr Hume, avec des renvois au Discours Préliminaire de d’Alembert, Esmond
Donelly
° Allardyce et Leontia,
Esmond Donnelly (roman)
° En souvenir de Charles
Churchill, Esmond Donelly (poème)
° La vie de Johnson,
Boswell, Yale
° Voyage dans les îles
Hébrides avec le Dr Johson, Boswell
° Reliques du Nord (récits populaires des Highland), Glenney, 1793
° Lettres d’une Montagne,
Reginald Smithson, 1780
° Dénonciation de la
conspiration néfaste connue sous le nom de la Société du Phénix, Henry
Martell, maître es lettres et George Smithson, docteur en théologie Old
Bankside, 1793
° Nuits de Paris, Henrik
van Griss (Cubières-Palmézaux), 1778
° Clonmacnoise et autres
poèmes, George O’Hefernan
° Magan et son cercle de
Pierres, George O’Hefernan
°Mémoires d’un Rebelle
Irlandais, George O’Hefernan
° Méthodes et Techniques de
l’Auto-Illusion, Gerard Sorne
° Sociologie du Crime Violent,
Gerard Sorme
° Confessions du Frère
Achazius de Düren
° Les Prêtres Scandaleux, anonyme
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire