Publié par incoherism
le août 9, 2017
Rencontres
de Berder-sur-Seine 2016 autour de Jean-Charles Pichon,
Editions L’œil du Sphinx.
Ces
rencontres autour de l’un des penseurs les plus intéressants des dernières
décennies ont offert une large place à la question des vers cataphractaires à
travers une longue communication de Jean Hautepierre.
De quoi
parlons-nous ?
Le mot
« cataphractaire » désigne les cavaleries lourdes des guerres
antiques, des troupes de choc en quelque sorte. Le « cataphracte »
est la protection, l’armure. Mais en poésie ?
« Que
recouvre ce nouveau nom ? demande en introduction Jean Hautepierre.
L’ensemble des vers comportant de treize à seize syllabes, ou encore les vers
d’une longueur supérieure à celle de l’alexandrin, mais ne dépassant pas une
dimension au-delà de laquelle les principales caractéristiques du vers – soit
sa rime et, surtout, son découpage rythmique – risquent fort de devenir floues,
voire indistinctes. Cela n’interdit pas d’utiliser de tels vers de manière
ponctuelle. (…)
Si je
ne rejette donc pas l’emploi ponctuel de vers allant au-delà de
l’hexadécasyllabe, je ne crois guère à la possibilité de composer des strophes
et des tirades entières à partir de tels modules. Il en va tout autrement des
vers cataphractaires, qui se prêtent à un usage suivi. Encore faut-il que le
découpage rythmique de chaque vers soit bien marqué afin que son existence même
en tant que vers soit immédiatement perceptible à l’oreille, comme il en va pour
l’alexandrin classique (…)
Ces
vers sont conçus pour envahir le champ du langage, pour marteler et submerger
de leur mélodie lourde et lancinante l’ouïe et l’esprit de l’auditeur, du
lecteur, du spectateur. Les cataphractaires ne furent-ils pas la cavalerie
lourde de Byzance ? »
Suit
une première démonstration :
Et si
j’ai quelquefois au nom de Hautepierre
Joint
le martèlement des vers cataphractaires,
De
treize, de quatorze ou de seize marteaux
Ecrasant
le silence et ponctuant les mots,
C’est
pour que solennellement au lointain la rime se fonde
Et
laisse attendre son écho semblant se perdre dans les cieux
Et,
déjà presque ensevelie sous le seuil de la nuit profonde,
Qu’elle
surgisse, auréolée d’un éclat plus mystérieux…
Jean
Hautepierre défend avec érudition et conviction les vers cataphractaires. Il
note que l’absence de rime interne entraîne une attente de la rime finale et
donne une unité au vers tout en accentuant son caractère lancinant. Nous sommes
dans le vers incantatoire dont, nous dit-il « Edgar Poe fut le Génie
précurseur, Stéphane Mallarmé le Mage suprême ». Jean Hautepierre parle
d’envoûtement de l’auditeur ou du lecteur. « L’incantation remplace le
sens en affirmant un sens suprême. (…) Il y a ici une volonté magique, et un
pas vers les Paroles de Puissance. »
Il
existe, nous dit-il, une solennité des vers longs capables d’évoquer des
événements exceptionnels, de grandes passions, des transcendances.
Autre
exemple :
Que des
vers longs comme des soirs enveloppés de longues traînes,
Vous
emportant et vous berçant avec les flots du Grand Malheur,
Fassent
trôner par-dessus toute la douleur ample et souveraine
Qui
règne, Ô la reine du Monde, aux côtés du Soleil vainqueur ;
Jean
Hautepierre rappelle qu’il n’est pas l’inventaire du vers cataphractaire. Il
cite Saint-Pol roux, Jacques Réda, Pius Servien Coculesco parmi d’autres
poètes. Mais, il est sans doute le premier à les théoriser de manière
approfondie. Il écarte l’arbitraire en démontrant que les vers longs présentent
une homogénéité bien plus manifeste que les vers courts. Toutefois, c’est peut-être
parce que Jean Hautepierre considère que la nature même de la Poésie est
incantatoire qu’il s’est tourné vers les vers longs et leurs immenses
possibilités.
Editions
L’œil du Sphinx, 36-42 rue de la Villette, 75019 Paris – France.
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