La farce de Bugarach
- LES ECHOS
- Télécharger le PDF
A défaut de fin du monde, la journée du
21 décembre nous aura fourni un épisode cocasse qui mériterait de faire
date dans l'histoire des médias. On nous promettait un réjouissant
spectacle : Bugarach étant le seul lieu de la planète que devait
épargner la catastrophe prédite par le calendrier maya, des foules
allaient affluer pour un grand Woodstock d'illuminés, de fidèles de
sectes de tout poil et de simples badauds. Un « sujet » en or pour les
chaînes de télévision, la radio et la presse écrite, qui avaient dépêché
sur place envoyés spéciaux, photographes et équipes de tournage.
Hélas ! A Bugarach - 196 âmes par temps calme, selon Wikipédia - les
visiteurs les plus nombreux, ce 21 décembre, étaient les journalistes.
Hôtes sympathiques, mais que leur acharnement à débusquer le détail
insolite ou pittoresque rendait un peu encombrants, et que les habitants
de ce paisible village de la haute vallée de l'Aude avaient surtout
hâte de voir partir…
Il est arrivé que
les médias jouent avec la crédulité du public. En 1938, Orson Welles
avait déclenché une panique en annonçant sur la chaîne de radio
américaine CBS une attaque de Martiens. Plus récemment, les auteurs d'un
documentaire très convaincant voulaient nous démontrer que le
débarquement des astronautes américains sur la Lune, en juillet 1969,
n'avait été qu'une vaste mise en scène. Cette fois, la presse est prise à
son propre piège : si elle n'a, bien sûr, pas voulu faire croire au
mythe de Bugarach, elle a largement surestimé le nombre des individus
prêts à y ajouter foi.
Voilà une
manifestation de la « société du spectacle » qui aurait sans doute
inspiré Guy Debord, auteur d'un fameux livre qui portait ce titre. Créer
l'événement par le simple fait de l'annoncer et d'en faire à l'avance
la promotion est une pratique assez courante des médias. Mais à
Bugarach, l'événement n'était pas au rendez-vous. Qu'à cela ne tienne :
la sphère médiatique n'est jamais perdante et le non-événement devient
un événement. Nos chaînes de télévision nous ont ainsi montré, non sans
quelque autodérision, des équipes de chaînes hongroises toutes dépitées
de s'être déplacées pour rien. Des caméras filmant des caméras, le
spectacle dans le spectacle : ce qu'on appelle, en littérature ou en
peinture, une « mise en abyme ».
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire