Merci à Natacha et Samantha pour leurs recherches
LA SUPERSTITION AMERICAINE
En 1924, alors qu’il est à New York, Lovecraft est mis en relation avec Gertrude E. Tucker, qui dirige l’agence littéraire The Reading Lamp. Par son intermédiaire, on lui commande un projet de non-fiction sur la “Superstition en Amérique” (on parle parfois d’un plan en trois chapitres/essais). Le contact et la commande sont bien attestés, mais le projet capote très vite et ne dépasse pas le stade préparatoire : aucune trace d’un manuscrit complet n’a été retrouvée et rien n’a été publié. Les biographes mentionnent simplement la commission et notent que « rien n’en est sorti » (Joshi, via Nyholm) ; on ignore si l’arrêt vient d’un manque d’éditeur, d’honoraires, ou du simple désintérêt des commanditaires. (De Gruyter Brill)
C’est intéressant à mettre en regard de la commande ultérieure de Harry Houdini (1926), The Cancer of Superstition, autre traité contre la superstition que Lovecraft commence, mais qui s’interrompt à la mort du magicien (un feuilletage plus substantiel a refait surface en 2016). (The Guardian)
En bref : oui, Lovecraft a bien été sollicité en 1924 pour trois chapitres sur la superstition américaine par Gertrude E. Tucker / The Reading Lamp, mais le livre a été abandonné avant publication. (De Gruyter Brill)
Projet : Superstition in America
(Lovecraft, 1924 – projet abandonné)
Chapitre I – Les survivances du vieux monde
- Héritage puritain et calviniste : les fantômes de Salem, les sermons contre la sorcellerie, Cotton Mather et le poids de la Providence.
- Traditions rurales : croyances en les revenants, les « witch-lights » des marais, les malédictions familiales (Lovecraft cite volontiers le Massachusetts, Rhode Island, le Vermont).
- Syncrétisme immigré : comment les mythes européens (celtes, germaniques, slaves) se sont transplantés en Nouvelle-Angleterre.
Chapitre II – Superstition populaire et folklore régional
- Figures locales : légendes de fantômes, de maisons hantées, du Diable visitant les bois, du “Black Man” des Puritains.
- Superstitions du Sud et de la Frontière : Hoodoo, gris-gris, conjurations africaines, survivances amérindiennes.
- L’Amérique des Appalaches : médecine populaire, talismans, récits de loups-garous, « witch-bottles ».
Chapitre III – Superstition moderne et pseudo-science
- Spiritualisme et médiums : la vague des Fox Sisters, les tables tournantes, le spiritisme post-guerre de Sécession.
- Charlatanisme scientifique : magnétisme, radium-cures, faux « scientifiques » de foire.
- Danger culturel : Lovecraft aurait sans doute conclu sur la nécessité d’une approche rationaliste, en liant la superstition à la dégénérescence intellectuelle et à l’ignorance.
Superstition in America
Chapitre I – Les Ombres de la Nouvelle-Angleterre
(par H. P. Lovecraft – reconstitution )
« Celui qui hante les forêts de Nouvelle-Angleterre, sous le ciel de fin d’automne, peut sentir le souffle ancien d’une peur plus vieille que le puritanisme, plus ancienne que l’Europe même – une peur qui se cache dans chaque pierre moussue et chaque arbre tordu. »
Héritages du Vieux Monde
Les colons anglais qui, dès 1620, foulèrent les côtes de Plymouth, n’apportèrent pas seulement leurs armes et leurs outils : ils amenèrent aussi dans leurs bagages les vieilles terreurs du Vieux Monde. Les récits de sorcières chevauchant la nuit, les signes tracés sur les portes pour éloigner le Malin, les superstitions concernant les chats noirs et les feux follets — tout cela traversa l’Atlantique pour s’enraciner dans un sol nouveau, plus sauvage et plus sombre.
Fantômes et Apparitions
De nombreux récits circulaient, dès le XVIIᵉ siècle, sur des revenants marchant dans les brumes des cimetières. À Marblehead et Arkham, on évitait certaines collines après le coucher du soleil ; à Kingsport, on murmurait qu’un cortège spectral descendait la falaise lors des nuits d’équinoxe. Les Puritains consignaient ces histoires dans leurs journaux avec une précision glaçante, comme si elles étaient autant de preuves du pouvoir du Démon.
Sorcellerie et Malédictions
Le sombre épisode de Salem (1692) n’est que l’écho le plus connu d’une peur plus vaste :
- On clouait encore des fers de cheval au-dessus des granges pour repousser les « maladies » envoyées par les sorcières.
- Les enfants étaient avertis de ne pas ramasser de cailloux sur certaines collines, de peur de réveiller les « esprits de pierre ».
- Dans certaines vallées reculées, on croyait que certaines familles portaient encore la marque du Pacte, transmise de génération en génération.
Croyances Lunaires et Astrologiques
Dans l’Amérique coloniale, les phases de la lune régissaient les semailles, les coupes de bois et même les mariages. Les almanachs populaires, comme ceux de Poor Richard, mêlaient conseils pratiques et astrologie. De nos jours, dans les fermes de la vallée de Miskatonic, les anciens affirment encore qu’il vaut mieux ne pas sortir lorsque la lune est « noire » — car des choses rampantes hantent alors les prairies.
Persistance dans l’Amérique Moderne
« Les gratte-ciel et les tramways n’ont pas effacé l’ancien frisson ; il se tapit encore dans les arrière-cours de Boston et dans les marais de la vallée de l’Innsmouth. »
Même dans les années 1920, Lovecraft observe que certaines vieilles superstitions persistent :
- Charme de protection contre le mauvais œil, transmis discrètement par les grand-mères.
- Histoires de spectres publiées dans la presse locale, encore craintes par les enfants.
- Cultes secrets (bien que rarissimes) dans les recoins isolés du Vermont ou du Maine.
Conclusion
Ce chapitre se serait achevé sur une note ambiguë, laissant entendre que ces superstitions ne sont peut-être pas toutes infondées :
« Les savants rient de ces choses. Mais les savants n’ont pas marché sur les collines au cœur de la nuit, ni entendu, comme moi, le grattement sur la porte quand la lune est cachée. »

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