Merci à Natacha et à Samantha
📜 Genèse du projet
Au début des années 1920, Houdini était en pleine croisade contre le spiritisme et les pratiques occultes frauduleuses qui proliféraient après la Première Guerre mondiale. Beaucoup de médiums exploitaient la douleur des familles endeuillées pour leur soutirer de l’argent, en prétendant communiquer avec les morts. Houdini, qui avait perdu sa mère adorée, assistait parfois incognito à ces séances et les démontait ensuite publiquement.
Il voulut aller plus loin : publier un livre qui dénoncerait systématiquement les superstitions à travers l’histoire, depuis l’Antiquité jusqu’aux charlatans modernes.
✍️ Lovecraft et le manuscrit
Houdini engagea Lovecraft comme ghostwriter pour ce projet. Lovecraft devait structurer et rédiger l’essentiel du texte, en collaboration avec un autre auteur, C. M. Eddy Jr.
Les notes de Lovecraft montrent qu’il avait prévu un ouvrage en plusieurs chapitres :
- Origines de la superstition : mythes primitifs, peur de la mort et de l’inconnu.
- Superstitions de l’Antiquité : oracles, sacrifices, astrologie.
- L’Âge médiéval : sorcellerie, démonologie, procès en sorcellerie.
- Superstitions modernes : spiritisme, fantômes, médiums, vampires, loups-garous…
- Appel à la raison : la science comme outil de libération de l’esprit humain.
Lovecraft, rationaliste convaincu, y voyait l’occasion de défendre sa vision matérialiste de l’univers. Dans ses notes, il raille aussi bien les superstitions « vulgaires » que les dogmes religieux établis, qu’il considérait comme des prolongements de la peur primitive.
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📚 Le projet inachevé
La mort de
Houdini en octobre 1926 mit fin au projet. Lovecraft n’en rédigea que quelques
sections et un plan détaillé.
Ces fragments ont été retrouvés bien plus tard et publiés de manière posthume :
- En 1966, un article de la revue The Collector’s Library of the Unknown révéla un chapitre intitulé « The Genesis of Superstition » (attribué à Lovecraft et Eddy).
- D’autres fragments, notes et ébauches ont été publiés dans des fanzines ou des ouvrages érudits sur Lovecraft.
🔍 Importance pour les lovecraftiens
Ce texte éclaire :
- La pensée de Lovecraft : c’est l’une de ses professions de foi rationalistes les plus explicites.
- Son intérêt pour l’histoire des croyances : il réemploiera ce matériau pour nourrir son univers (sorcellerie de Salem, cultes anciens, mythes pseudo-historiques).
- Le lien entre Houdini et Weird Tales : cette commande a permis à Lovecraft de se rapprocher davantage du cercle de Farnsworth Wright, et donc de publier davantage dans le magazine.
LE CANCER DE LA SUPERSTITION
Chapitre IV – Superstitions de la Nouvelle-Angleterre
Introduction
La Nouvelle-Angleterre, berceau puritain des colonies américaines, se distingue par l’étrange persistance de croyances archaïques. Ces survivances – parfois plus anciennes que les Pères Pèlerins eux-mêmes – ont trouvé un terrain fertile dans les vallées brumeuses et les villages isolés du Massachusetts et du Rhode Island. La superstition y a proliféré telle une moisissure sur un vieux tronc d’orme : discrète mais insidieuse, toujours prête à réapparaître lorsque l’esprit humain faiblit devant l’ombre de l’inconnu.
I – Héritage des Puritains
L’obsession
religieuse des premiers colons engendra un climat mental où tout phénomène
inexplicable était interprété comme une intervention démoniaque. Les
archives de Salem (1692) révèlent que des épidémies de convulsions, aujourd’hui
reconnues comme hystériques ou toxiques, furent attribuées aux maléfices de «
sorcières ».
Les sermons de Cotton Mather et de ses pairs firent de la Nouvelle-Angleterre
un véritable théâtre de la démonologie. Les sorcières, pactisant avec le Diable
dans les bois de Gallows Hill, étaient supposées provoquer les tempêtes, tarir
les laits et faire dépérir le bétail.
II – Revenants et Apparitions
À côté de
cette hantise diabolique, se développa la croyance en revenants, surtout
dans les campagnes reculées du Vermont et du Rhode Island.
De nombreux récits mentionnent des familles exhumant un parent soupçonné d’être
devenu vampire : on brûlait le cœur du cadavre pour enrayer une « consomption »
mystérieuse, en réalité la tuberculose.
Jusqu’en 1892, le cas de Mercy Brown, à Exeter, provoqua l’émoi dans tout
l’État. Ce sont là les derniers feux d’une tradition sépulcrale qui plonge ses
racines dans les superstitions slaves importées par les immigrants.
III – Superstitions rurales
Le paysan yankee, bien que lecteur de l’Almanach du Fermier, garde encore un respect craintif pour certaines pratiques :
- Enterrer une pièce d’argent sous le seuil pour protéger la maison.
- Suspendre des fer à cheval au-dessus de l’étable.
- Ne jamais abattre un orme isolé, de peur d’y déranger les esprits.
Ces croyances, qui peuvent paraître pittoresques, ne sont que des vestiges d’un monde où l’homme se croyait assiégé de forces invisibles.
IV – L’Œil de la Science
L’étude
moderne de ces phénomènes nous révèle qu’ils ne sont que les échos de peurs
collectives, de crises psychologiques et de phénomènes naturels mal compris.
Ce que les Puritains prenaient pour des sabbats n’étaient que des crises
d’hystérie collective.
Ce que les paysans appelaient vampires n’étaient que des victimes de la phtisie
pulmonaire, conservées par l’hiver rigoureux.
En dissipant ces ombres, la science n’appauvrit pas notre monde : elle nous
délivre de la tyrannie du cauchemar et rend à l’homme la plénitude de sa
raison.
Conclusion
La
Nouvelle-Angleterre, aujourd’hui siège de prestigieuses universités, n’est plus
le théâtre de chasses aux sorcières ni d’exhumations nocturnes. Pourtant, sous
la surface policée de la civilisation, l’ancien sol demeure riche en
superstitions prêtes à germer de nouveau à la faveur d’un moment d’effroi
collectif.
C’est pourquoi l’éducation rationnelle, la vulgarisation scientifique et la
vigilance contre les charlatans restent les seules armes efficaces contre ce
que nous avons appelé, à juste titre, le cancer de la superstition.

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