Ull, le dernier homme
Personnage central de « Till A’ the Seas » (1935), révision Lovecraft pour Robert H. Barlow
Un archétype post-apocalyptique avant l’heure
1. Contexte littéraire et généalogie du texte
Till A’ the Seas est publié en 1935 dans The Californian, signé Barlow, mais Lovecraft intervient fortement :
- il restructure le récit,
- renforce l’atmosphère de désolation cosmique,
- donne à Ull une dimension quasi mythique,
- et accentue la fatalité astronomique (le Soleil rapproché).
Ce texte se situe à la croisée du weird et de la science-fiction primitive, bien avant les classiques post-apocalyptiques des années 1950.
On peut y voir une préfiguration de :
- Ballard (sécheresse, fin thermique),
- John Brunner,
- et même les Témoins de l’Apocalypse de Jean-Charles Pichon, avec cette idée que la fin du monde s’incarne dans un homme seul.
2. Le monde d’Ull : une Terre à l’agonie
La planète est en train de mourir, littéralement :
- le Soleil se rapproche,
- la chaleur devient intenable,
- les océans s’assèchent,
- les pluies ne tombent plus,
- la civilisation a disparu,
- seules subsistent des tribus dispersées, mi-nomades, mi-cavernicoles.
Le texte décrit une géographie terminale, un monde où même les reliefs semblent avoir perdu leur sens.
L’humanité est
déjà morte.
Ull n’est qu’un reste, un fragment, un dernier écho.
3. Ull : un ultime survivant profondément humain
Ull est un personnage d’une force poignante :
Ses traits :
- jeune homme endurci par la faim et la chaleur,
- isolé depuis la disparition de sa tribu,
- habité d’une ténacité presque animale,
- mu par un minuscule espoir : l’eau.
Ull n’est pas
un héros classique.
C’est un être biologique au bout du rouleau, un homme réduit à sa simple
fonction de survie.
Et pourtant, Lovecraft et Barlow lui donnent une noblesse tragique, une dignité silencieuse.
4. Le voyage au-delà des collines
Lorsque sa
caverne devient invivable, Ull entreprend une marche désespérée vers un village
abandonné.
Ce passage est parmi les plus beaux du texte :
- chaleur écrasante,
- pierres brûlantes,
- ciel blanc,
- silence total — le vrai silence, sans oiseaux, sans insectes, sans vent.
Chaque pas est
une victoire contre la mort.
Mais cet effort n’a qu’un seul objectif : trouver de l’eau.
Ce n’est pas une quête spirituelle, ni civilisationnelle :
c’est la lutte d’un organisme condamné contre l’entropie.
5. Le village désert et le puits — l’ultime lueur d’espoir
Le village
qu’Ull atteint est un tombeau de poussière.
Mais il y a un puits.
Et ce puits contient encore de l’eau — la dernière eau de la dernière humanité.
Ull arrive à
en remonter un peu :
assez pour raviver en lui une émotion qui ressemble à de l’espérance.
Mais son corps est trop affaibli, trop desséché.
En tentant de remonter, il glisse, chute et se tue dans le conduit.
Son dernier
acte est un geste vers la vie.
Et c’est ce geste qui le tue.
6. Une fin symbolique puissante
L’humanité s’éteint pour une goutte d’eau.
Ull meurt comme meurent toutes les espèces menacées :
- dans la solitude,
- dans un geste de survie devenu impossible,
- dans un monde qui ne répond plus.
Ce final est
d’une beauté mélancolique rare :
Lovecraft y insuffle son pessimisme cosmique,
Barlow y ajoute une sensibilité humaine,
et ensemble ils produisent un texte délicat et cruel.
7. Place du texte dans la tradition post-apocalyptique
« Till A’ the Seas » est un avant-coureur de nombreux thèmes modernes :
- fin thermique du monde,
- effondrement écologique,
- humanité réduite à l’état de relique,
- disparition dans le silence cosmique.
Ull, le dernier homme, rejoint une lignée mythique :
- le dernier survivant de Mary Shelley dans The Last Man,
- les ermites d’univers morts de Clark Ashton Smith,
- les marcheurs desséchés de Ballard,
- et, beaucoup plus tard, les solitaires de La Route de McCarthy.
Ull est une figure totale, un archétype.




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