lundi 24 novembre 2025

LES AVENTURES DU CAPITAINE ELIAS GODWORTHY

 


Les Chronicles of Captain Elias Godworthy, his Trips and Explorations upon the Continent of North America

Haverstock Press, Londres, 1672

 

Résumé

Les Chronicles of Captain Elias Godworthy constituent l’un des témoignages les plus énigmatiques attribués à la littérature d’exploration anglaise du XVIIᵉ siècle. Longtemps considérées comme perdues, elles ne sont connues que par quelques fragments disséminés dans divers corpus manuscrits (Savile Papers, Journals of Richard Cabell, copies du pasteur Ezra Hathaway). Leur statut oscille entre récit de voyage authentique, compilation remaniée et production semi-fictionnelle liée aux cercles proto-érudits londoniens d’après la Restauration. L’ouvrage fascine par la présence répétée de toponymes et descriptions géographiques qui semblent relever davantage de la mythographie que de l’observation empirique.

1. Contexte historique de publication

L’édition originale, qui porterait la marque de la Haverstock Press (Londres, 1672), s’inscrit dans une période d’activisme éditorial marqué par la multiplication de journaux de voyage, de relations de missionnaires et de récits de colons. Toutefois, l’atelier Haverstock, peu documenté, est connu pour avoir produit des pamphlets non autorisés, des sermons remaniés et divers textes de nature ambiguë.

L’absence de mention de l’ouvrage dans les registres officiels de dépôt londonien, combinée à la disparition quasi totale des exemplaires, a conduit plusieurs chercheurs à envisager une diffusion très limitée, probablement à destination de cercles restreints d’antiquaires ou de sociétés savantes embryonnaires.

 


 

 

2. L’auteur présumé : le cas Elias Godworthy

L’identité du « Captain » Elias Godworthy demeure problématique. Aucun marin portant ce nom n’apparaît dans les rôles de la Royal Navy des années 1650–1670, ni dans les registres marchands. Quelques hypothèses ont été avancées :

  • Pseudonyme d’un voyageur réel, souhaitant dissimuler une activité non autorisée dans les colonies.
  • Personnage composite, créé à partir de journaux privés remaniés.
  • Création littéraire, élaborée par un auteur londonien pour donner une apparence documentaire à un récit spéculatif.

Les fragments connus montrent un style hybride, mêlant observations géographiques plausibles et descriptions visionnaires difficilement conciliables avec la prose d’un marin de formation.

3. Contenu et thèmes principaux

Les Chronicles relatent plusieurs expéditions nord-américaines menées entre 1654 et 1669. Les passages conservés permettent d’identifier quelques motifs récurrents :

-       Traversée d’un grand fleuve brumeux, probablement le Saint-Laurent, mais décrit sous une aura quasi mythique.

-       Rencontre d’un « peuple des montagnes » appelé Namlûh, dont le nom inversé donnerait « Human », suggérant un procédé cryptique ou symbolique.

-       Description d’une cité abandonnée de pierres sombres, située au-delà d’une chaîne montagneuse non identifiée, évoquant un site précolonial ou une construction idéalisée.

-       Mention d’un « lac sans reflet », phénomène optique ou motif symbolique, interprété parfois comme trace d’une tradition autochtone aujourd’hui oubliée.

Cette tonalité mélangeant ethnographie floue, motifs eschatologiques et géographie hypothétique distingue les Chronicles des relations contemporaines plus factuelles.

4. Circulation et réception

Des copies partielles circulent en Angleterre et en Nouvelle-Angleterre au XVIIIᵉ et XIXᵉ siècles. Plusieurs antiquaires, dont Henry Wickham (Boston, 1843), considèrent l’ouvrage comme un document crypté reflétant des spéculations rosicruciennes.

D’autres, notamment dans les milieux « mound builder » de la seconde moitié du XIXᵉ siècle, y voient la description déformée de sites protohistoriques.
Le manque de données archéologiques solides empêche toutefois toute conclusion ferme.

5. Authenticité et enjeux méthodologiques

Les analyses physico-chimiques effectuées sur les fragments connus (Oxford, Exeter) confirment une datation cohérente avec les années 1670, ce qui exclut l’hypothèse d’un faux tardif.
Toutefois, l’hétérogénéité stylistique et la présence de motifs littéraires probablement interpolés suggèrent un texte composite, peut-être rédigé à partir de notes authentiques mais largement amplifié pour satisfaire un lectorat en quête d’exotisme.

Le caractère lacunaire du corpus rend difficile toute reconstruction complète de l’œuvre.

 


 

6. Intérêt scientifique actuel

Les Chronicles offrent un exemple précieux des récits d’exploration « liminaires » du XVIIᵉ siècle, à la frontière entre observation, mythographie et spéculation savante.
Elles éclairent :

  • les stratégies narratives de crédibilisation dans les journaux de voyage,
  • la circulation des connaissances géographiques incertaines,
  • et les interactions entre tradition cartographique européenne et imaginaires autochtones ré-interprétés.

L’ouvrage est fréquemment mobilisé dans les études sur la proto-littérature fantastique anglo-saxonne et, dans les milieux spécialisés, il est parfois cité comme un « précurseur involontaire » des géographies occultes modernes.

Conclusion

Les Chronicles of Captain Elias Godworthy occupent une place singulière dans la littérature d’exploration du XVIIᵉ siècle : ni totalement authentiques, ni entièrement fictives, elles témoignent de la complexité des productions textuelles issues d’une Europe en pleine expansion coloniale. Leur intérêt réside moins dans leur exactitude factuelle que dans leur capacité à révéler les imaginaires et les tensions intellectuelles de leur époque.

 


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