jeudi 10 novembre 2011

LES VAMPIRES A L'EAU DE ROSE

LIVRES


























MORDANT Quelques lignes du dernier roman de V. K. Forrest, «Impitoyable», publié chez Milady. Les enquêtes du vampire Arlan, qui s’est «juré de ne jamais tomber amoureux d’une humaine»...
Photos Shutterstock / Montage L'Hebdo
 


Réduire la taille du texte Augmenter la taille du texte Imprimer l'article

Livre
Bit-lit, la romance sanglante

Par Julien Burri - Mis en ligne le 09.11.2011 à 15:02

Depuis «Twilight», les romances mettant en scène des vampires passionnent de plus en plus les Suisses. Ce genre, la «bit-lit», devenu un phénomène de librairie, oblige les éditeurs à adopter de nouvelles stratégies.
Le vampire ne fait plus peur; pire, il fait envie. Et truste les meilleures ventes en librairies. Depuis Twilight, série-culte de Stephenie Meyer vendue en Suisse romande à 100 000 exemplaires, c’est la déferlante. Les femmes de 15 à 35 ans veulent du vampire à chaque page.
Le monstre aujourd’hui est capable de sentiments et aime au grand jour (sans craindre les UV). Rajeuni, domestiqué, végétarien, il a été privé de ses défenses d’émail. Le prince charmant des romances à l’eau de rose lui a volé ses attributs pour se refaire une santé sur son dos. En phagocytant le héros de Bram Stoker, il a retrouvé son piquant et son sexe-appeal. Décidément, le vampire n’est pas celui qu’on croit…
Aujourd’hui, même une Meg Cabot, auteure-phare de la littérature romance pour ados (la longue série du Journal d’une Princesse), se met à la «bit-lit» dans son dernier livre traduit: Insatiable. C’est dire. Mais la bit-lit, qu’est-ce que c’est? Le terme, inventé en France par les Editions Milady, est une variante de la dénomination ironique «chick-lit» (littérature pour poulettes, donc pour nanas), et associe l’anglais to bite (mordre) à la littérature.
Pour Sophie Dabat, qui lui a consacré l’essai le plus complet qu’on puisse lire en français (Bitlit! L’amour des vampires aux Editions Les moutons électriques), le genre descend en ligne directe des romances victoriennes des sœurs Brontë, excusez du peu. Et de résumer: «Des créatures surnaturelles (vampires ou loups-garous) mordent des jeunes femmes sur fond de romance.»
Pour Irène Ruffieux, qui vient de défendre un mémoire sur la série télé de vampires True Blood (adaptation des livres de Charlaine Harris), à l’Université de Lausanne, on retrouve dans cette littérature le schéma des romans à l’eau de rose: «Les Harlequin ont rabâché les conflits de classes entre les amants. Ces distinctions n’ont plus lieu d’être aujourd’hui. La société a l’air “plate”, même si elle ne l’est pas.
C’est-à-dire qu’on a la sensation de pouvoir changer de milieu social facilement. Du coup, pour éloigner les amants, les auteures font du héros masculin un vampire. Cela remet du piquant et ravive le côté amour impossible!» Sans compter que cela autorise des scènes sexuelles plus osées.
Grands ados. Mais la bit-lit est aussi très orientée ados. «Twilight soulève les mêmes thèmes que la littérature pour ados: la virginité versus le mariage, comment quitter sa famille pour aller à l’université, l’amour contrarié, mais avec un emballage fantastique…» Du coup, le genre séduit aussi bien cette tranche d’âge que les lectrices de 25 à 35 ans, professionnellement actives, qui n’hésitent pas à s’approvisionner au rayon «jeunesse» des librairies.
Pour remédier à cette confusion, les Editions Hachette sortent deux versions de leurs titres-phares: l’une pour adultes, l’autre pour ados. Le texte est le même, seul le format diffère. Enfin, la littérature «mordante» compterait aussi des lecteurs mâles (entre 5% et 30%, selon les éditeurs), mais ils la dévoreraient en cachette...
C’est Hachette et sa collection Black Moon qui a pressenti le succès du vampire nouveau. L’éditeur possède les droits de la série Twilight, dont il a vendu 5 millions d’exemplaires en français. Avant de se faire rattraper sur ce marché de niche par Milady et sa collection Bragelonne (noms choisis en hommage aux romans d’Alexandre Dumas). Depuis sa création en 2008, Milady a publié 110 titres et écoulé 1 200 000 exemplaires.
Un succès en pleine expansion (+45% de ventes en 2010, dans le domaine «fantastique»). Enfin, Harlequin, ringardisée par ses concurrentes, a contre-attaqué en fondant la collection Jeunesse Darkiss l’an passé. Phénomène contemporain, la bit-lit est transversale et essaime sur la toile et les écrans: les séries sont adaptées au cinéma ou à la télévision. Et à l’inverse, une série télé à succès peut aussi être déclinée en livres a posteriori (par exemple Buffy contre les vampires).
Pour s’y adapter, les éditeurs développent des stratégies de communication inédites dans le milieu littéraire francophone. La presse généraliste ou spécialisée boude leurs titres? Ils les envoient à des bloggers influents. «Notre communication est pensée pour s’adapter à sa cible jeune et connectée», commente-t-on chez Darkiss.
Et de reconnaître l’importance des blogs et des sites web. «Il fallait créer un lieu de rendez-vous de la communauté, pour lui permettre d’échanger, mais aussi lui fournir des informations en exclusivité sur la collection, les séries, les publications à venir ou encore répondre à ses questions.»
Marketing soigné. Côté librairies, en Suisse romande, la Fnac propose les plus beaux rayons bit-lit. Le genre représente à lui seul 45% du chiffre d’affaires des romans pour ados. «Nous avons diminué le secteur Science-fiction, qui plaît moins aujourd’hui, pour favoriser ce nouveau genre», explique Laurence Wuethrich, responsable des achats pour le rayon Jeunesse. «Il y a deux ans déjà, nous avons exposé dans un même rayon tout l’univers de la bit-lit: BD, roman, manga, DVD…
Cela a plu à nos clients et leur a permis de faire des découvertes. Et nous commençons cette semaine une opération spéciale: pour l’achat de deux titres, le lecteur se verra offrir un hors-série Milady contenant des nouvelles.» Milady, encore lui, sait décidément soigner sa communication.
L’éditeur va jusqu’à offrir aux libraires une formation sur la bit-lit et son histoire. Il a aussi permis à la Fnac de Lausanne, la mieux fournie dans le domaine, d’accueillir des auteurs pour des séances de dédicaces (dont la locomotive Patricia Briggs, auteure de la série Mercy Thompson).
Si le terme bit-lit a été inventé par l’éditeur français Milady, on ne voit sur les rayons des libraires que des auteures anglosaxonnes. Sophie Dabat regrette que les éditeurs manquent de curiosité. «Ils répondent à la demande immédiate, et pas question de changer une formule qui marche. Pour eux, il est moins risqué d’acheter les droits d’une série qui a fait ses preuves auprès du public anglophone, plutôt que de choisir un texte inédit.»
La directrice de Black Moon, Cécile Térouanne, explique ce monopole par une différence culturelle entre la France et les Etats-Unis. «Je suis fière de publier de la littérature de divertissement. Mais c’est un tabou en France, où nous sommes encore écrasés par le Nouveau roman et la notion d’auteur. La littérature pour la jeunesse y est souvent engagée et sociale. Chez Black Moon, nous sommes dans une autre logique: le divertissement pur.»
Autrement dit, on n’est pas en présence d’artistes, mais de producteurs en série qui répondent à un cahier des charges. Paradoxalement, les livres sont parfois meilleurs une fois traduits. «Le style des originaux est souvent assez médiocre, reconnaît Cécile Térouanne. Mais nous avons de bons traducteurs, qui rehaussent le niveau.»
La directrice de la collection Bragelonne, Isabelle Varange, constate pourtant un «certain frémissement» dans la bit-lit française: «Nous allons publier le premier tome d’une série francophone en 2012 par une auteure très talentueuse dont c’est le premier roman.» A suivre.
Canines émoussées. Sauf que le vampire pourrait finir par lasser. Les éditeurs le savent, qui essaient de lui trouver un successeur. Cette rentrée et la prochaine, ils misent sur le paranormal. Pour le moment, le succès n’est pas au rendez-vous en Suisse romande. Pour Sophie Dabat, la solution est peut-être de faire évoluer les séries: «Pour fidéliser le public adulte, certains héros vieillissent et ont des enfants. Par exemple dans Ma part de ténèbres de Kelly Gay, l’héroïne est une flic divorcée confrontée à des problèmes d’adultes.»
La réaction viendra peut-être des éditeurs plus traditionnels, pour l’instant à la traîne. Gallimard, qui avait lancé Harry Potter en France, cultive sa différence. «Nous aimons les histoires de vampires qui ont une profondeur psychologique et qui sont bien écrites», explique Thierry Laroche, éditeur Jeunesse. «Nous avons vu arriver cette mode, mais nous avons voulu rester bien droits dans nos bottes, fidèles à notre regard exigeant.
Nous choisissons des textes divertissants, mais qui ont des choses à dire. Plaisir ne veut pas dire facilité ni futilité!» L’éditeur propose deux collections à succès mettant en scène des vampires: Les étranges sœurs Wilcox et A comme Association, toutes deux écrites par des Français. Et des hommes! La diversité est sauve. De toute façon, à l’avenir, le combat se jouera sur le terrain des anges, et le prince charmant troquera de plus en plus ses canines pointues contre des ailes.
A ce propos, la maison centenaire a une arme pour reprendre la main: la trilogie Angel de Lee Weatherly. Le premier tome de cette romance paranormale très fleur bleue vient de sortir. Un ténébreux jeune homme, chasseur d’anges, y tombe amoureux de celle qu’il est chargé d’éliminer...

Film

«Twilight», une suite mais pas de fin

Suspens insoutenable. Edward (Robert Pattinson) embrassera-t-il enfin Bella (Kristen Stewart)?
Le 16 novembre, les Romands pourront découvrir Breaking Dawn, adaptation du quatrième tome de Twilight sur grand écran. Pour faire durer le «plaisir», cette conclusion plus «musclée» a été divisée en deux films. Il faudra attendre jusqu’au 14 novembre 2012 pour connaître le fin mot de l’histoire.

A lire

«Chasseurs d’ombres», de Marjorie M. Liu, Darklight, 350 p.
Le premier volume d’une nouvelle série qui raconte les péripéties de Kiss, redoutable chasseresse de vampires, protégée par des tatouages capables de prendre vie...
«Void City, Tome 1, Un pieux dans le cœur», de J.F. Lewis, Milady, 386 p.
Le héros est un vampire gérant de boîte de striptease! Un des seuls romans de «bit-lit» écrit par un homme.
«Les fiancés de l’ombre» de Gena Showalter, Darkiss, 615 p.
Deuxième tome d’une série sur une idylle contrariée, à la Roméo et Juliette, entre des vampires issus de clans ennemis...

Aucun commentaire: