dimanche 25 décembre 2011

BUSINESS AU BUGARACH


Sur le terrain
24/12/2011 à 10h13
 
RUE 89 

A un an de l'apocalypse, le pic de Bugarach fait des affaires

Bugarach



De Bugarach, Aude) Bugarach, c'est un pic qui culmine à 1 231 m. Perdu dans la Haute Vallée de l'Aude, il est depuis plus d'un siècle l'objet de tous les fantasmes et croyances surnaturelles.
Ses couches géologiques inversées lui donneraient des pouvoirs extraordinaires liés au magnétisme. Jules Verne s'en serait même inspiré pour écrire son « Voyage au centre de la Terre » (1864). Dans les années 60, à travers les écrits d'un auteur fasciné par l'ésotérisme, Jean d'Argoun, un nouveau mythe naît : le pic abriterait une base extraterrestre.
Mais depuis, une autre histoire, relayée sur Internet, l'a largement supplanté. Selon différentes sources, le pic de Bugarach et le village qui se situe à son pied seraient les seuls lieux sur Terre épargnés par l'apocalypse, une fin du monde qui doit intervenir le 21 décembre 2012, selon le calendrier maya.
Cette prédiction tombée du ciel il y a environ un an a focalisé tous les regards sur le petit village – moins de 200 âmes. Elle a aussi aiguisé l'appétit de certains de ses habitants qui y voient un nouveau filon à exploiter.

Un euro la carte postale avec une soucoupe

« Dans le village-même, l'affluence ne se fait pas trop ressentir », explique le maire de Bugarach, Jean-Pierre Delord.
« Mais sur le pic, elle a plus que doublé en un an. Nous avons installé un compteur là-haut : le nombre de marcheurs est passé de 10 000 à 20 000. »
Qui sont ces marcheurs ? Sait-il s'il existe des groupes sectaires dans la région ? Sur ces questions, l'élu ne semble pas trop regardant :
« Nous sommes en démocratie, ce qui implique une liberté de culte et de croyances. Moi ce qui m'importe, c'est simplement qu'il n'y ait pas d'atteinte à l'ordre public. J'en ai d'ailleurs appelé aux autorités en cas d'éventuel débordement. Si des milliers et des milliers de personnes montent au pic le 21 décembre de l'an prochain, je ne pourrai pas assurer leur sécurité. »
Si cette arrivée massive de visiteurs l'effraie un peu, le maire compte aussi en tirer profit pour sa commune.
« Je suis maire depuis trente-cinq ans et jamais Bugarach n'avait été aussi connu. Nous devons saisir ce moment pour nous faire connaître. »
Et pour bénéficier comme il se doit de cette fin du monde annoncée, rien de tel qu'exploiter directement l'événement.
« Nous vendons des cartes postales à 1 euro qui représentent le pic avec une soucoupe volante au-dessus. Nous les avons signées David Vincent [personnage principale de la série “Les Envahisseurs”, ndlr].
Je réfléchis aussi à créer un festival les années suivantes pour commémorer le 21 décembre. Ce serait un grand festival de l'utopie mais je ne sais pas encore quelle forme il prendrait. »

Une carte postale du pic de Bugarach, et sa soucoupe volante (La-fin-du-monde.fr)

Des devis pour construire des bunkers

Deuxième idée : en profiter pour développer l'économie locale.
« Les gens qui viennent consomment dans les restaurants ou au supermarché pas loin du village. Et puis cette publicité gratuite qui nous est faite pourrait nous permettre de mener à bien notre projet d'extension avec la création d'un éco-quartier. En étant plus connus, on pourrait faire débloquer des financements car le problème ici, comme bien souvent, c'est le fric. »
A Bugarach, certains tentent d'ailleurs d'en gagner un maximum. « En quelques mois, le prix des terrains à vendre est passé de 15 à 50 euros le mètre carré », explique Jean-Pierre Delord.
Les maisons aussi ont soudain vu leur prix exploser. Bernard Cervières travaille depuis dix ans dans le secteur de Bugarach comme agent commercial pour une grande enseigne immobilière. Et depuis que le village est au centre de toutes les attentions, y vendre des biens devient de plus en plus compliqué.
« Les propriétaires ont pensé que des illuminés seraient prêts à mettre n'importe quel prix pour venir échapper à la fin du monde. Or, ceux qui viennent voir les maisons n'ont pas les moyens de les acheter, même quand ils viennent à six ou sept couples pour faire de grandes colocations.
Par exemple, une maison que j'ai estimé à 260 000 euros est proposée à la vente à 474 000 euros. Elle va avoir du mal à partir. Les gens doublent les prix en essayant de faire l'affaire du siècle. »

Le pic de Bugarach, Aude, Languedoc-Roussillon, en 2007 (Thierry Strub/Wikimedia Commons/CC)
Conséquence : les maisons ne se vendent pas et cela n'arrange personne.
« Le seul bien qui s'est vraiment vendu, c'est un domaine qui se trouve sur le pic. Il s'agit d'une exploitation agricole de 400 hectares, qui recouvre presque la moitié du pic. Elle a été vendue 1,8 million d'euros, ce qui correspondait à son estimation, à un couple de Finlandais. Ils étaient habillés normalement et voulaient reprendre le travail des anciens agriculteurs.
On a appris ensuite qu'ils avaient demandé des devis pour construire des bunkers sur le pic. Mais maintenant c'est leur terrain alors ils font ce qu'ils veulent. »

Plus de chambre pour le 21 décembre 2012

Excepté cette vente, le marché de l'immobilier sur Bugarach ne devrait pas se développer pour autant, explique Bernard Cervières.
« Ces histoires d'apocalypse, ça ne profite pas tant que ça à notre secteur. Cela fait vendre quelques hamburgers, ça fait parler du coin et c'est très bien pour le commerce. »
Un des commerces qui en profite le plus, c'est celui de l'hébergement. En effet pas la peine de chercher une chambre pour la semaine du 21 décembre 2012, tout est déjà complet dans le village.
La responsable du gîte de la Genivrière, à l'entrée de la vallée, explique que « ce n'est pas exceptionnel d'avoir des réservations d'une année sur l'autre », même si cette année elle a augmenté ses prix, jusqu'à 2 900 euros la semaine en été pour une dizaine de personnes.
« Cette augmentation n'est pas liée à 2012, c'est juste que tout coûte plus cher, l'électricité, le chauffage… »
Le gîte accueille souvent des groupes, qui viennent suivre des stages dits énergétiques. Une Irlandaise, qui organise des sessions à Bugarach, a même déjà réservé une semaine en août 2013.
« Ce qui montre bien que certains n'ont pas peur de la fin du monde », explique la responsable du gîte. Et que le business à Bugarach n'est pas non plus prêt de mourir.

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